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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
exécuter d’une façon plus fraîche, avec une couleur plus distinguée, une figure qu’il
sait maintenant par cœur. Aussi, très souvent, à l’inverse de beaucoup d’autres
peintres, son second ouvrage vaut mieux que le premier. C’est le cas de sa
Madeleine.
De la collection Darius O. Mills, qui est assez importante, nous ne retiendrons
que trois beaux Meissonier : Y Antichambre, le Coup de l’étrier, avec une figure
féminine de servante, chose rare dans l’œuvre de l’artiste, et l'État-major du
maréchal de Saxe.
Chez M. Richard Lennox Kennedy, nous trouvons les Palanquins, charmante toile
du regretté Guillaumet; chez miss Cooper, un intéressant Bastien-Lepage, Fauvette,
et un Soir de Corot entre deux grandes masses d’arbres riches de feuillage, pro-
fondes, puissantes, légères, selon la formule de ce maître incomparable, avec des
silhouettes qui gardent leur fermeté tout en s’évaporant, pour ainsi dire, dans
l’atmosphère ambiante.
11 faudrait répéter la même chose et plus encore à propos d’un autre Corot,
chez M. Cottier, vaste toile intitulée Orphee, qui est le poème de la lumière nais-
sante. Quel homme, que Corot ! Plus on voit ses ouvrages, plus on acquiert la
certitude que nul paysagiste n’a été aussi près de la nature. Cela montre l’inanité
de ces misérables querelles qui renaissent toujours, sous une forme ou sous une
autre, à propos de réalisme et d’idéalisme.
M. Davis est un éclectique dans le bon sens du mot; il résout à sa façon les
querelles d’école en mettant côte à côte ou face à face une Baigneuse de Millet,
le Violoncelliste de Courbet, deux Ribot, un Rousseau, un llenner, un Manet
(PEnfant à l’épée), et un Degas représentant des groupes de Danseuses derrière les
coulisses. Degas, avec les qualités d’un dessinateur de premier ordre, tombe parfois
dans la bizarrerie, uniquement pour éviter la banalité. 11 devrait savoir qu’un
grand artiste ne peut jamais être banal. Mais le tableau de Danseuses que nous
avons vu ici n’a rien de trop exagéré ; on y trouve le dessin large et souple, la
vérité de mouvement, l’entente de la lumière et l’observation juste que Degas met
dans ses œuvres toutes les fois qu’il le veut.
Nous avons cité un Isabey de la collection Paran Stevens : il faut y ajouter,
parmi beaucoup d’autres choses intéressantes, un Seigneur Louis XIII, endormi
pendant qu’il fait antichambre, par Meissonier, et une belle Cardeuse de Millet.
Nous n’avons pas eu de chance avec la galerie de M. W. Astor. Muni d’une
carte du propriétaire, qu’un ami nous avait fait obtenir, nous nous présentâmes un
peu tard, par un ciel horriblement couvert. Le galerie était sombre comme la
gueule d’un four. Le .majordome, en l’absence du maître, nous reçut d’un air
aimable, en nous engageant à revenir par un temps plus clair. Mais mieux vaut
tenir que courir. — Pouvez-vous me donner une bougie? — Oui. — Fort bien.
Et nous voilà, une bougie à la main, mesurant les tableaux avec un mètre qui ne
nous quittait jamais. Un charmant Fumeur de Meissonier perdit peu à cet éclai-
rage. Beaucoup d’autres tableaux étaient de vieilles connaissances du Salon ou
de l’hôtel Drouot, signées Détaillé, Gérôme, J. Breton, J. Lefebvre, IL Leroux, sans
parler de la célèbre épopée des Oies de Millet. Les seuls tableaux importants qui
lussent nouveaux pour nous étaient un grand Pâturage de Van Marche et un
Troyon, L’OEil du maître, qui nous ont paru fort beaux, malgré ce piteux éclai-
rage, et un Corot, Le Nid, trop haut placé pour être jugé.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
exécuter d’une façon plus fraîche, avec une couleur plus distinguée, une figure qu’il
sait maintenant par cœur. Aussi, très souvent, à l’inverse de beaucoup d’autres
peintres, son second ouvrage vaut mieux que le premier. C’est le cas de sa
Madeleine.
De la collection Darius O. Mills, qui est assez importante, nous ne retiendrons
que trois beaux Meissonier : Y Antichambre, le Coup de l’étrier, avec une figure
féminine de servante, chose rare dans l’œuvre de l’artiste, et l'État-major du
maréchal de Saxe.
Chez M. Richard Lennox Kennedy, nous trouvons les Palanquins, charmante toile
du regretté Guillaumet; chez miss Cooper, un intéressant Bastien-Lepage, Fauvette,
et un Soir de Corot entre deux grandes masses d’arbres riches de feuillage, pro-
fondes, puissantes, légères, selon la formule de ce maître incomparable, avec des
silhouettes qui gardent leur fermeté tout en s’évaporant, pour ainsi dire, dans
l’atmosphère ambiante.
11 faudrait répéter la même chose et plus encore à propos d’un autre Corot,
chez M. Cottier, vaste toile intitulée Orphee, qui est le poème de la lumière nais-
sante. Quel homme, que Corot ! Plus on voit ses ouvrages, plus on acquiert la
certitude que nul paysagiste n’a été aussi près de la nature. Cela montre l’inanité
de ces misérables querelles qui renaissent toujours, sous une forme ou sous une
autre, à propos de réalisme et d’idéalisme.
M. Davis est un éclectique dans le bon sens du mot; il résout à sa façon les
querelles d’école en mettant côte à côte ou face à face une Baigneuse de Millet,
le Violoncelliste de Courbet, deux Ribot, un Rousseau, un llenner, un Manet
(PEnfant à l’épée), et un Degas représentant des groupes de Danseuses derrière les
coulisses. Degas, avec les qualités d’un dessinateur de premier ordre, tombe parfois
dans la bizarrerie, uniquement pour éviter la banalité. 11 devrait savoir qu’un
grand artiste ne peut jamais être banal. Mais le tableau de Danseuses que nous
avons vu ici n’a rien de trop exagéré ; on y trouve le dessin large et souple, la
vérité de mouvement, l’entente de la lumière et l’observation juste que Degas met
dans ses œuvres toutes les fois qu’il le veut.
Nous avons cité un Isabey de la collection Paran Stevens : il faut y ajouter,
parmi beaucoup d’autres choses intéressantes, un Seigneur Louis XIII, endormi
pendant qu’il fait antichambre, par Meissonier, et une belle Cardeuse de Millet.
Nous n’avons pas eu de chance avec la galerie de M. W. Astor. Muni d’une
carte du propriétaire, qu’un ami nous avait fait obtenir, nous nous présentâmes un
peu tard, par un ciel horriblement couvert. Le galerie était sombre comme la
gueule d’un four. Le .majordome, en l’absence du maître, nous reçut d’un air
aimable, en nous engageant à revenir par un temps plus clair. Mais mieux vaut
tenir que courir. — Pouvez-vous me donner une bougie? — Oui. — Fort bien.
Et nous voilà, une bougie à la main, mesurant les tableaux avec un mètre qui ne
nous quittait jamais. Un charmant Fumeur de Meissonier perdit peu à cet éclai-
rage. Beaucoup d’autres tableaux étaient de vieilles connaissances du Salon ou
de l’hôtel Drouot, signées Détaillé, Gérôme, J. Breton, J. Lefebvre, IL Leroux, sans
parler de la célèbre épopée des Oies de Millet. Les seuls tableaux importants qui
lussent nouveaux pour nous étaient un grand Pâturage de Van Marche et un
Troyon, L’OEil du maître, qui nous ont paru fort beaux, malgré ce piteux éclai-
rage, et un Corot, Le Nid, trop haut placé pour être jugé.