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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
à la main, tandis que derrière lui la lune lui fait une gloire. M. Taine,
qui a vu cette toile sans le secours d’aucune explication, l’appelle
tout bonnement1 Un Christ la nuit avec une lanterne. Pour le spectateur
indifférent, ce n’est pas autre chose; mais pour l’auteur, c’est le
christianisme venant éclairer l’univers, c’est la mystique lumière de
la foi traversant les ténèbres de l’ignorance. Et c’est avec ce sens,
c’est peut-être à cause de ce sens que le tableau a eu en Angleterre
une fortune unique, qu’il a été promené de ville en ville et reproduit
avec un succès énorme par la gravure. Donc, quelque étrange que
cela nous paraisse, il faut reconnaître que le but du peintre, quoiqu’il
11e soit pas de nature pittoresque, est accessible. J’ajouterai qu’avec
un effort d’esprit, on arrive à se placer au point de vue de l’artiste :
ainsi, le Bouc expiatoire, paré d’ossements fantastiques, transportant
les péchés du monde dans un endroit inhabité... Il s’avance lourde-
ment sur une plage bordée de montagnes, que baignent les tons
sanglants d’un soleil oriental, parmi de bizarres ornements jonchant
le sable, et finit par produire une impression tout autre que celle
d’un simple animal. Cet effet tient-il à la puissance de l’artiste, à la
robustesse de sa foi ou à la bonne volonté de l’imagination qui 11e
demande qu’à se laisser séduire? Je ne sais, mais il est très réel, et
le public anglais presque tout entier l’a éprouvé : ce n’est pas pour
rien que ITolman Hunt est, plus peut-être qu’aucun autre, un peintre
national.
A côté de ces trois toiles et de VOmbre de la Mort, j’en pourrais
citer plusieurs autres du même artiste qui dénotent la même tendance,
qui rentrent au plus haut degré dans cette peinture d’intentions
qu’aime et défend l’esthéticien auquel les Préraphaélites durent leurs
premiers succès, John Ruskin. Le programme du célèbre « gradué
d’Oxford » se trouve ici presque entièrement réalisé : nous n'avons
plus affaire, comme avec les peintres de la Renaissance italienne, à
des madones qui deviennent de « simples mères italiennes », des
« sujets convenables pour étaler des ombres transparentes, des teintes
habilement choisies, des raccourcis scientifiques », qui 11e peuvent
guère être que « des pièces d’ameublement agréables pour le coin
d’un salon »; nous ne sommes plus en présence d'un art ratio-
naliste. .. « marqué par le parti pris avec lequel il revient aux systèmes
païens, non pour les adopter et les élever jusqu’au christianisme,
mais pour se ranger à leur suite comme imitateur et comme disciple »;
1. Notes sur l’Angleterre.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
à la main, tandis que derrière lui la lune lui fait une gloire. M. Taine,
qui a vu cette toile sans le secours d’aucune explication, l’appelle
tout bonnement1 Un Christ la nuit avec une lanterne. Pour le spectateur
indifférent, ce n’est pas autre chose; mais pour l’auteur, c’est le
christianisme venant éclairer l’univers, c’est la mystique lumière de
la foi traversant les ténèbres de l’ignorance. Et c’est avec ce sens,
c’est peut-être à cause de ce sens que le tableau a eu en Angleterre
une fortune unique, qu’il a été promené de ville en ville et reproduit
avec un succès énorme par la gravure. Donc, quelque étrange que
cela nous paraisse, il faut reconnaître que le but du peintre, quoiqu’il
11e soit pas de nature pittoresque, est accessible. J’ajouterai qu’avec
un effort d’esprit, on arrive à se placer au point de vue de l’artiste :
ainsi, le Bouc expiatoire, paré d’ossements fantastiques, transportant
les péchés du monde dans un endroit inhabité... Il s’avance lourde-
ment sur une plage bordée de montagnes, que baignent les tons
sanglants d’un soleil oriental, parmi de bizarres ornements jonchant
le sable, et finit par produire une impression tout autre que celle
d’un simple animal. Cet effet tient-il à la puissance de l’artiste, à la
robustesse de sa foi ou à la bonne volonté de l’imagination qui 11e
demande qu’à se laisser séduire? Je ne sais, mais il est très réel, et
le public anglais presque tout entier l’a éprouvé : ce n’est pas pour
rien que ITolman Hunt est, plus peut-être qu’aucun autre, un peintre
national.
A côté de ces trois toiles et de VOmbre de la Mort, j’en pourrais
citer plusieurs autres du même artiste qui dénotent la même tendance,
qui rentrent au plus haut degré dans cette peinture d’intentions
qu’aime et défend l’esthéticien auquel les Préraphaélites durent leurs
premiers succès, John Ruskin. Le programme du célèbre « gradué
d’Oxford » se trouve ici presque entièrement réalisé : nous n'avons
plus affaire, comme avec les peintres de la Renaissance italienne, à
des madones qui deviennent de « simples mères italiennes », des
« sujets convenables pour étaler des ombres transparentes, des teintes
habilement choisies, des raccourcis scientifiques », qui 11e peuvent
guère être que « des pièces d’ameublement agréables pour le coin
d’un salon »; nous ne sommes plus en présence d'un art ratio-
naliste. .. « marqué par le parti pris avec lequel il revient aux systèmes
païens, non pour les adopter et les élever jusqu’au christianisme,
mais pour se ranger à leur suite comme imitateur et comme disciple »;
1. Notes sur l’Angleterre.