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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tour instructif. Nous y sommes parvenus. Infidèles au chemin de fer
qui, il est vrai, n’a pas prévu tous les caprices de notre curiosité,
nous frétons au Puy une petite voiture légère et nous nous dirigeons
vers le nord du département, en traversant le beau pays que con-
naissent bien les lecteurs de Jean de la Roche. L’horizon garde ses
grandes découpures; les silhouettes des terrains volcaniques restent
superbes. Sur la route que nous suivons, l’œuvre d’art n’abonde pas.
A Saint-Paulien, où la civilisation romaine a laissé des traces de son
passage, il y a près de l’église une statue en bronze d’un illustre en-
fant du canton, le sculpteur Pierre Julien. Cette figure, d’un caractère
peu écrit, est une représentation bien insuffisante de l’artiste qu’elle
voudrait glorifier. Elle n’est pas conçue dans l’esprit du temps auquel
elle devrait nous faire songer. Elle est quelconque. Il méritait une
plus vaillante image, le brave sculpteur qui a si bien compris l’idéal
à la mode sous Louis XVI, dans le petit Ganymède du Louvre et dans
la Jeune fille à la chèvre, exécutée pour la laiterie du château de Ram-
bouillet. Mais ce sont là des choses que les habitants de Saint-Paulien
ne connaissent pas. Les hommes sont aux champs; les femmes, assises
devant leur porte, font de la dentelle, et la froide effigie de Pierre
Julien paraît un peu abandonnée sur son piédestal.
Nous continuons notre route et nous nous arrêtons à Allègre où
subsiste à l’état de ruine un éloquent débris d’un château, celui de la
grande famille militaire dont le nom se retrouve souvent dans
l’histoire du xve siècle et dans la relation des expéditions italiennes
de Louis XII. C’est là qu’a demeuré Yves, baron d’Allègre, qui fut
tué à Ravenne. Du manoir féodal, il reste encore quelques fragments
de mur et une porte qui a fort grand air. Pendant que notre cheval
se repose, nous procédons au repas obligatoire. Ce déjeuner est sans
aventures. Et cependant la servante qui entre apportant un plat est
bien intéressante pour des archéologues : elle a le visage rond, le
front bombé dont nous avons la veille noté le type en étudiant les
figures symboliques de la Grammaire et de la Logique dans le groupe
des Arts libéraux à la cathédrale du Puy. Est-ce que le voyageur
emporte avec lui sa vision? Est-ce que l’œuvre d’art emmagasinée
dans l’esprit déteint sur la réalité vivante? Peut-être; mais en pré-
sence d’une ressemblance si intime entre le rétrospectif et l’actualité,
il est permis de croire à la persistance de certains types, et il n’est
pas impossible d’admettre que le peintre inconnu des Arts libéraux
ait pris pour modèles des femmes du pays. Les caractères d’une race
sont lents à se perdre. Nous avons sans doute ici un exemple de la
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tour instructif. Nous y sommes parvenus. Infidèles au chemin de fer
qui, il est vrai, n’a pas prévu tous les caprices de notre curiosité,
nous frétons au Puy une petite voiture légère et nous nous dirigeons
vers le nord du département, en traversant le beau pays que con-
naissent bien les lecteurs de Jean de la Roche. L’horizon garde ses
grandes découpures; les silhouettes des terrains volcaniques restent
superbes. Sur la route que nous suivons, l’œuvre d’art n’abonde pas.
A Saint-Paulien, où la civilisation romaine a laissé des traces de son
passage, il y a près de l’église une statue en bronze d’un illustre en-
fant du canton, le sculpteur Pierre Julien. Cette figure, d’un caractère
peu écrit, est une représentation bien insuffisante de l’artiste qu’elle
voudrait glorifier. Elle n’est pas conçue dans l’esprit du temps auquel
elle devrait nous faire songer. Elle est quelconque. Il méritait une
plus vaillante image, le brave sculpteur qui a si bien compris l’idéal
à la mode sous Louis XVI, dans le petit Ganymède du Louvre et dans
la Jeune fille à la chèvre, exécutée pour la laiterie du château de Ram-
bouillet. Mais ce sont là des choses que les habitants de Saint-Paulien
ne connaissent pas. Les hommes sont aux champs; les femmes, assises
devant leur porte, font de la dentelle, et la froide effigie de Pierre
Julien paraît un peu abandonnée sur son piédestal.
Nous continuons notre route et nous nous arrêtons à Allègre où
subsiste à l’état de ruine un éloquent débris d’un château, celui de la
grande famille militaire dont le nom se retrouve souvent dans
l’histoire du xve siècle et dans la relation des expéditions italiennes
de Louis XII. C’est là qu’a demeuré Yves, baron d’Allègre, qui fut
tué à Ravenne. Du manoir féodal, il reste encore quelques fragments
de mur et une porte qui a fort grand air. Pendant que notre cheval
se repose, nous procédons au repas obligatoire. Ce déjeuner est sans
aventures. Et cependant la servante qui entre apportant un plat est
bien intéressante pour des archéologues : elle a le visage rond, le
front bombé dont nous avons la veille noté le type en étudiant les
figures symboliques de la Grammaire et de la Logique dans le groupe
des Arts libéraux à la cathédrale du Puy. Est-ce que le voyageur
emporte avec lui sa vision? Est-ce que l’œuvre d’art emmagasinée
dans l’esprit déteint sur la réalité vivante? Peut-être; mais en pré-
sence d’une ressemblance si intime entre le rétrospectif et l’actualité,
il est permis de croire à la persistance de certains types, et il n’est
pas impossible d’admettre que le peintre inconnu des Arts libéraux
ait pris pour modèles des femmes du pays. Les caractères d’une race
sont lents à se perdre. Nous avons sans doute ici un exemple de la