PAUL VÉRONÈSE AU PALAIS DUCAL DE VENISE. 15
semée de légères broderies d’or, est agenouillée devant le Christ dans
sa gloire; placée au centre de la toile, entre l’allégorie de la Foi et
sainte Justine, elle représente Venise, sous les traits de la plus belle
et de la plus noble des patriciennes. Il y a là un souvenir évident de
quelque beauté saisie la veille au passage, à l’éclat des lumières, dans
une fête ducale, dans une fête donnée dans la Salle du Grand Conseil,
la veille peut-être, alors que la République inscrivait à son livre d’or
le nom de Henri III, de passage à Venise, pour aller occuper le trône
de France. Remarque singulière, de cette beauté triomphante dont
l’image vous poursuit, on ne voit même point les traits; on les devine
et on les rêve. On dit « les Vierges de Raphaël », comme on dit « les
Femmes du Véronèse », les unes empruntent leur beauté à des qualités
divines, les autres arrivent à la divinité par la perfection humaine,
par la noblesse, la grâce, la beauté, par la bonté; car c’est un des traits
spéciaux du Véronèse, et c’est son secret. Chez lui toute poésie part
de la réalité; il ne descend pas du ciel sur la terre, il y reste attaché :
ses modèles traînent leurs longues jupes de patriciennes sur les
dalles du palais ou foulent le gazon des prairies émaillées de fleurs ; les
Vénitiens les ont vues et ils les connaissent; elles vivent, elles leur
sourient, elles leur parlent, elles aussi sont inscrites au livre d’or.
Dans le Paolo il n’y a rien d’ascétique, pas de rêverie, pas de mélan-
colie profonde, pas de lueurs indécises où se perd le regard et où la
pensée se plonge; tout vit, tout palpite, tout rayonne; le soleil et la
lumière inondent la toile; il n’a même pas de ces grands partis pris
de peintre qui noient tout un côté de leur composition dans l’ombre;
le jour pénètre partout, il modèle en pleine lumière, les figures
baignent dans l’éther; les cheveux d’or reçoivent la caresse de la
lumière, les bijoux scintillent, les blanches épaules et les nuques
exquises s’irisent de reflets nacrés, les étoffés pompeuses, aux larges
plis, aux grands ramages, font miroiter les moindres nuances de
leur trame : tout est franc, loyal, tout est juste et vrai; le pinceau
répand partout la lumière et la vie, et la dispense avec la libéralité
du génie.
Le plafond de cette Salle du Collège est charmant; rien n’y est
grandiose, mais tout y est aimable et doux. Venise est assise sur son
trône, portée sur le globe du monde, en dogaresse, couverte d’une
robe éclatante, avec le manteau ducal, la couronne au front, le
sceptre à la main, abritée sous le dais et baignée dans une ombre
transparente qui l’enveloppe comme à regret, et s’éclaire de doux
reflets qui font ressortir chacun de ses traits. Son pied repose sur
semée de légères broderies d’or, est agenouillée devant le Christ dans
sa gloire; placée au centre de la toile, entre l’allégorie de la Foi et
sainte Justine, elle représente Venise, sous les traits de la plus belle
et de la plus noble des patriciennes. Il y a là un souvenir évident de
quelque beauté saisie la veille au passage, à l’éclat des lumières, dans
une fête ducale, dans une fête donnée dans la Salle du Grand Conseil,
la veille peut-être, alors que la République inscrivait à son livre d’or
le nom de Henri III, de passage à Venise, pour aller occuper le trône
de France. Remarque singulière, de cette beauté triomphante dont
l’image vous poursuit, on ne voit même point les traits; on les devine
et on les rêve. On dit « les Vierges de Raphaël », comme on dit « les
Femmes du Véronèse », les unes empruntent leur beauté à des qualités
divines, les autres arrivent à la divinité par la perfection humaine,
par la noblesse, la grâce, la beauté, par la bonté; car c’est un des traits
spéciaux du Véronèse, et c’est son secret. Chez lui toute poésie part
de la réalité; il ne descend pas du ciel sur la terre, il y reste attaché :
ses modèles traînent leurs longues jupes de patriciennes sur les
dalles du palais ou foulent le gazon des prairies émaillées de fleurs ; les
Vénitiens les ont vues et ils les connaissent; elles vivent, elles leur
sourient, elles leur parlent, elles aussi sont inscrites au livre d’or.
Dans le Paolo il n’y a rien d’ascétique, pas de rêverie, pas de mélan-
colie profonde, pas de lueurs indécises où se perd le regard et où la
pensée se plonge; tout vit, tout palpite, tout rayonne; le soleil et la
lumière inondent la toile; il n’a même pas de ces grands partis pris
de peintre qui noient tout un côté de leur composition dans l’ombre;
le jour pénètre partout, il modèle en pleine lumière, les figures
baignent dans l’éther; les cheveux d’or reçoivent la caresse de la
lumière, les bijoux scintillent, les blanches épaules et les nuques
exquises s’irisent de reflets nacrés, les étoffés pompeuses, aux larges
plis, aux grands ramages, font miroiter les moindres nuances de
leur trame : tout est franc, loyal, tout est juste et vrai; le pinceau
répand partout la lumière et la vie, et la dispense avec la libéralité
du génie.
Le plafond de cette Salle du Collège est charmant; rien n’y est
grandiose, mais tout y est aimable et doux. Venise est assise sur son
trône, portée sur le globe du monde, en dogaresse, couverte d’une
robe éclatante, avec le manteau ducal, la couronne au front, le
sceptre à la main, abritée sous le dais et baignée dans une ombre
transparente qui l’enveloppe comme à regret, et s’éclaire de doux
reflets qui font ressortir chacun de ses traits. Son pied repose sur