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GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
berceau, des concours de jeux de quilles, des exercices de force et
d’adresse et, comme de juste, des ripailles et des danses.
Avec cela, si la fête est pour les familles un jour de réunion en
quelque sorte obligatoire, elle est aussi le rendez-vous des gueux,
des mendiants, des paralytiques, des aveugles et des culs-de-jatte,
grouillant par les chemins, excitant par leurs clameurs et le spec-
tacle de leurs misères la pitié des passants. Puis encore c’est la foule
recueillie des malades et des affligés accourant pleine de foi dans
les vertus curatives de quelque piscine vénérée ou dans la mira-
culeuse intervention du grand saint auquel s’allument ses cierges
bénits.
A cette source féconde, Breughel puise le motif de quantité de
scènes plaisantes ou sérieuses, mais toujours de la plus saisissante
vérité. La Danse des fous est évidemment la réminiscence de quelque
parade foraine et c’est encore un souvenir de kermesse que sa Danse
des épileptiques dont le magistral dessin fait partie de la collection
Albertine à Vienne1.
C’est au texte même, dont Hondius accompagne les planches qu’il
tire de cette composition, que nous devons d’être informés du véritable
sujet de cet étrange épisode. Il ne s’agit point ici, comme l’ont cru
divers amateurs, de la Procession dansante d’Echternach, bien
moins encore de femmes ivres. C’est aux portes de Bruxelles que
Breughel a cueilli son sujet, sujet d’ailleurs fort proche de celui que
suppose M. Charcot et qu’il décrit d’une manière frappante dans son
précieux ouvrage, Les Démoniaques dans l’art.
« Parmi les pèlerins, dit le savant auteur, les uns épileptiques ou
atteints de diverses maladies nerveuses, dansent pour leur propre
compte, les autres (il s’agit de la procession d’Echternach) dansent
pour obtenir la guérison de leurs parents, de leurs amis, voire
même de leurs bestiaux.
« Il n’est pas rare — et ici l’analogie avec nos dessins devient
frappante — de voir de pauvres diables, pris tout à coup, au milieu
de la procession, d’une crise épileptique et qu’on est obligé d’emporter.
Quelques-uns même de ces malades ne peuvent assister à la cérémonie.
Venus la veille de très loin, et exténués de fatigue, on les voit
couchés au coin des rues, incapables de marcher, quelques-uns en
proie aux crises de leur mal. »
Le texte des gravures de Breughel n’est pas moins explicite. 1
1. Ce dessin a été reproduit par la Gazette des Beaux-Arts (année 1872, p. 523).
GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
berceau, des concours de jeux de quilles, des exercices de force et
d’adresse et, comme de juste, des ripailles et des danses.
Avec cela, si la fête est pour les familles un jour de réunion en
quelque sorte obligatoire, elle est aussi le rendez-vous des gueux,
des mendiants, des paralytiques, des aveugles et des culs-de-jatte,
grouillant par les chemins, excitant par leurs clameurs et le spec-
tacle de leurs misères la pitié des passants. Puis encore c’est la foule
recueillie des malades et des affligés accourant pleine de foi dans
les vertus curatives de quelque piscine vénérée ou dans la mira-
culeuse intervention du grand saint auquel s’allument ses cierges
bénits.
A cette source féconde, Breughel puise le motif de quantité de
scènes plaisantes ou sérieuses, mais toujours de la plus saisissante
vérité. La Danse des fous est évidemment la réminiscence de quelque
parade foraine et c’est encore un souvenir de kermesse que sa Danse
des épileptiques dont le magistral dessin fait partie de la collection
Albertine à Vienne1.
C’est au texte même, dont Hondius accompagne les planches qu’il
tire de cette composition, que nous devons d’être informés du véritable
sujet de cet étrange épisode. Il ne s’agit point ici, comme l’ont cru
divers amateurs, de la Procession dansante d’Echternach, bien
moins encore de femmes ivres. C’est aux portes de Bruxelles que
Breughel a cueilli son sujet, sujet d’ailleurs fort proche de celui que
suppose M. Charcot et qu’il décrit d’une manière frappante dans son
précieux ouvrage, Les Démoniaques dans l’art.
« Parmi les pèlerins, dit le savant auteur, les uns épileptiques ou
atteints de diverses maladies nerveuses, dansent pour leur propre
compte, les autres (il s’agit de la procession d’Echternach) dansent
pour obtenir la guérison de leurs parents, de leurs amis, voire
même de leurs bestiaux.
« Il n’est pas rare — et ici l’analogie avec nos dessins devient
frappante — de voir de pauvres diables, pris tout à coup, au milieu
de la procession, d’une crise épileptique et qu’on est obligé d’emporter.
Quelques-uns même de ces malades ne peuvent assister à la cérémonie.
Venus la veille de très loin, et exténués de fatigue, on les voit
couchés au coin des rues, incapables de marcher, quelques-uns en
proie aux crises de leur mal. »
Le texte des gravures de Breughel n’est pas moins explicite. 1
1. Ce dessin a été reproduit par la Gazette des Beaux-Arts (année 1872, p. 523).