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FRANÇOIS GÉRARD.
entre la gravure 1 et la peinture, et trouvait à peine l’argent néces-
saire pour entreprendre le voyage d’Italie, Gérard se faisait envoyer
ses premiers tableaux, les jugeait avec une impartiale bonté et écri-
vait à Robert :
« Mon cher Monsieur Robert,
«Paris, 13 novembre -1826.
« J'ai reçu, non par M. de Beauvoir que je n’ai point encore vu, mais par
M. Dupré, le tableau que vous avez eu la bonté de m’annoncer par votre lettre du
19 septembre. Le choix du sujet m’avait causé quelque inquiétude, qui s’est bientôt
dissipée à la vue du tableau.
« Votre composition est simple, noble et touchante. J’ai revu avec plaisir ces
costumes qui, heureusement pour nous, n’ont point changé. Cette scène m’a paru
d’autant plus vraie qu’elle m’a rappelé en partie celle dont j’ai été témoin dans
ma jeunesse. Une fille de campagne, qui servait chez ma mère, mourut ; ses parents
vinrent pleurer sur son corps et lui rendre les derniers devoirs. Vous savez,
Monsieur, le cas que je fais de votre beau talent et avec quel plaisir j’ai vu vos
succès si justement mérités ; si je me permets quelques observations, comme vous
avez bien voulu m’y autoriser, je vous prie de les regarder comme une preuve de
la haute estime que j’ai pour votre mérite. D’après ce dernier ouvrage, je crains
franchement que vous n’adoptiez une manière un peu dure, non par l’excès du
fini, mais parce que les contours semblent peints à sec. Les plis de la manche de
la mère ont quelque raideur et sa tête est peut-être trop virile. Je suis ennemi de
la beauté systématique, mais, dans toutes les classes et à tous les âges, il y a,
surtout chez ce peuple que vous savez si bien peindre, un genre de beauté relative
que vous pouvez, mieux que d’autres, découvrir et retracer. Enfin permettez-moi
de vous rappeler que c’est au dessin et au caractère que vous avez su donner à ce
genre qu’on avait traité trop négligemment avant vous, que vous devez la répu-
tation bien méritée dont vous jouissez. Quoique je n’aie pas l’avantage de con-
naître autant votre personne que votre talent, je suis sûr que je ne vous blesserai
pas en vous parlant aussi sincèrement. Les gens qui étudient de bonne foi pour
approcher de la vérité doivent toujours s’entendre.
« Ce sera avec un véritable plaisir que l’on vous verra arriver à Paris, l’au-
tomne prochain, et personne, vous devez le croire, n’en sera plus charmé que
moi. »
Léopold Robert répondait à ses éloges, mêlés de sages observa-
tions, par une lettre qui fait honneur à sa modestie et à sa connais-
sance de lui-même :
« Rome, 2-1 décembre 1826.
Monsieur,
« La lettre dont vous avez bien voulu m’honorer m’a procuré une de ces jouis-
sances que l’on éprouve rarement. La bienveillance que vous voulez bien avoir
1. Léopold Robert avait obtenu, en 1814, le second grand prix de gravure en
taille-douce.
FRANÇOIS GÉRARD.
entre la gravure 1 et la peinture, et trouvait à peine l’argent néces-
saire pour entreprendre le voyage d’Italie, Gérard se faisait envoyer
ses premiers tableaux, les jugeait avec une impartiale bonté et écri-
vait à Robert :
« Mon cher Monsieur Robert,
«Paris, 13 novembre -1826.
« J'ai reçu, non par M. de Beauvoir que je n’ai point encore vu, mais par
M. Dupré, le tableau que vous avez eu la bonté de m’annoncer par votre lettre du
19 septembre. Le choix du sujet m’avait causé quelque inquiétude, qui s’est bientôt
dissipée à la vue du tableau.
« Votre composition est simple, noble et touchante. J’ai revu avec plaisir ces
costumes qui, heureusement pour nous, n’ont point changé. Cette scène m’a paru
d’autant plus vraie qu’elle m’a rappelé en partie celle dont j’ai été témoin dans
ma jeunesse. Une fille de campagne, qui servait chez ma mère, mourut ; ses parents
vinrent pleurer sur son corps et lui rendre les derniers devoirs. Vous savez,
Monsieur, le cas que je fais de votre beau talent et avec quel plaisir j’ai vu vos
succès si justement mérités ; si je me permets quelques observations, comme vous
avez bien voulu m’y autoriser, je vous prie de les regarder comme une preuve de
la haute estime que j’ai pour votre mérite. D’après ce dernier ouvrage, je crains
franchement que vous n’adoptiez une manière un peu dure, non par l’excès du
fini, mais parce que les contours semblent peints à sec. Les plis de la manche de
la mère ont quelque raideur et sa tête est peut-être trop virile. Je suis ennemi de
la beauté systématique, mais, dans toutes les classes et à tous les âges, il y a,
surtout chez ce peuple que vous savez si bien peindre, un genre de beauté relative
que vous pouvez, mieux que d’autres, découvrir et retracer. Enfin permettez-moi
de vous rappeler que c’est au dessin et au caractère que vous avez su donner à ce
genre qu’on avait traité trop négligemment avant vous, que vous devez la répu-
tation bien méritée dont vous jouissez. Quoique je n’aie pas l’avantage de con-
naître autant votre personne que votre talent, je suis sûr que je ne vous blesserai
pas en vous parlant aussi sincèrement. Les gens qui étudient de bonne foi pour
approcher de la vérité doivent toujours s’entendre.
« Ce sera avec un véritable plaisir que l’on vous verra arriver à Paris, l’au-
tomne prochain, et personne, vous devez le croire, n’en sera plus charmé que
moi. »
Léopold Robert répondait à ses éloges, mêlés de sages observa-
tions, par une lettre qui fait honneur à sa modestie et à sa connais-
sance de lui-même :
« Rome, 2-1 décembre 1826.
Monsieur,
« La lettre dont vous avez bien voulu m’honorer m’a procuré une de ces jouis-
sances que l’on éprouve rarement. La bienveillance que vous voulez bien avoir
1. Léopold Robert avait obtenu, en 1814, le second grand prix de gravure en
taille-douce.