FRANÇOIS RUDE.
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Armand Carrel, cité devant la Cour des Pairs, a poussé ce cri :
« L’exécution du maréchal Ney fut un abominable assassinat ». Le
général Exelmans intervient au milieu des colères : « Oui, je suis
de l’avis de M. Carrel : l’exécution du maréchal Ney fut un abomi-
nable assassinat1. » Autre incident, un peu plus tard, à la Chambre
des Pairs. Le duc Pasquier a fait allusion à la condamnation de
Michel Ney et prononcé le mot de dégradation : le prince de la
Moskowa, qui n’assistait pas à la séance, lui vient répondre, le lende-
main, avec une véhémence indignée : « On a osé parler de dégrada-
tion. Ah! les ennemis de mon père, monsieur le duc, ont bien pu le
tuer, mais le dégrader... jamais1 2 ! » Désormais, il suffit d’évoquer,
devant une assemblée, le drame de l’avenue de l’Observatoire pour
soulever des orages. Quelles passions déchaînera Victor Hugo, par
exemple, le jour où combattant un projet de révision de la Constitu-
tion, en 1851, il lanceraaux royalistes cette retentissante apostrophe :
« Prenez garde au Luxembourg; n’allez pas trop de ce côté; vous
finiriez par y rencontrer le spectre du maréchal Ney 3 ! » Le procès,
somme toute, est moralement, sinon légalement, en grande voie de
révision.
Mais ce n’est pas dans les seuls milieux politiques qu’on se sou-
vient du «.Brave des braves ». Dès 1837, lors de l’ouverture du Musée
de l'histoire de France au Château de Versailles, on voit avec plaisir,
dans la galerie des maréchaux, son portrait, peint par Langlois ;
dans un des vestibules, un exemplaire en plâtre de son buste, sculpté
par Houdon ; et, dans une des salles de l’Empire, le tableau très
connu de Meynier, qui le représente « remettant aux soldats du
76e régiment les drapeaux français retrouvés à l’arsenal d’Ins-
prück4 ». Voilà le condamné de la Restauration réintégré d’office
parmi nos gloires nationales. David d’Angers fait plus encore : il fait
1. Cour des Pairs, procès d’Armand Carrel, au Moniteur.
2. Chambre des Pairs, séances des 19 et 20 juin 1816.
3. Assemblée législative, séance du 17 juillet 1831.
4. Donnons quelques détails sur les trois oeuvres relatives au maréchal Ney, au
Musée du Château de Versailles. Le portrait original de Langlois a été, dès long-
temps, enlevé de la salle des maréchaux et remplacé par une médiocre copie,
signée de Bataille, peintre et conservateur-adjoint du musée, mort en 1880. Le
buste de Houdon, en plâtre, a été moulé sur le marbre, exposé, par le grand
sculpteur, au Salon de 1804, et qui se trouvait, en 1870, dans la salle des maréchaux,
aux Tuileries. Pour le tableau de Meynier, souvent reproduit par la gravure, il fut
peint en 1803 et parut, pour la première fois, au Salon de 1808. Il contient une
bonne figure du maréchal, qu’on a lieu de supposer exécutée d’après nature.
— 3e période. 14
v.
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Armand Carrel, cité devant la Cour des Pairs, a poussé ce cri :
« L’exécution du maréchal Ney fut un abominable assassinat ». Le
général Exelmans intervient au milieu des colères : « Oui, je suis
de l’avis de M. Carrel : l’exécution du maréchal Ney fut un abomi-
nable assassinat1. » Autre incident, un peu plus tard, à la Chambre
des Pairs. Le duc Pasquier a fait allusion à la condamnation de
Michel Ney et prononcé le mot de dégradation : le prince de la
Moskowa, qui n’assistait pas à la séance, lui vient répondre, le lende-
main, avec une véhémence indignée : « On a osé parler de dégrada-
tion. Ah! les ennemis de mon père, monsieur le duc, ont bien pu le
tuer, mais le dégrader... jamais1 2 ! » Désormais, il suffit d’évoquer,
devant une assemblée, le drame de l’avenue de l’Observatoire pour
soulever des orages. Quelles passions déchaînera Victor Hugo, par
exemple, le jour où combattant un projet de révision de la Constitu-
tion, en 1851, il lanceraaux royalistes cette retentissante apostrophe :
« Prenez garde au Luxembourg; n’allez pas trop de ce côté; vous
finiriez par y rencontrer le spectre du maréchal Ney 3 ! » Le procès,
somme toute, est moralement, sinon légalement, en grande voie de
révision.
Mais ce n’est pas dans les seuls milieux politiques qu’on se sou-
vient du «.Brave des braves ». Dès 1837, lors de l’ouverture du Musée
de l'histoire de France au Château de Versailles, on voit avec plaisir,
dans la galerie des maréchaux, son portrait, peint par Langlois ;
dans un des vestibules, un exemplaire en plâtre de son buste, sculpté
par Houdon ; et, dans une des salles de l’Empire, le tableau très
connu de Meynier, qui le représente « remettant aux soldats du
76e régiment les drapeaux français retrouvés à l’arsenal d’Ins-
prück4 ». Voilà le condamné de la Restauration réintégré d’office
parmi nos gloires nationales. David d’Angers fait plus encore : il fait
1. Cour des Pairs, procès d’Armand Carrel, au Moniteur.
2. Chambre des Pairs, séances des 19 et 20 juin 1816.
3. Assemblée législative, séance du 17 juillet 1831.
4. Donnons quelques détails sur les trois oeuvres relatives au maréchal Ney, au
Musée du Château de Versailles. Le portrait original de Langlois a été, dès long-
temps, enlevé de la salle des maréchaux et remplacé par une médiocre copie,
signée de Bataille, peintre et conservateur-adjoint du musée, mort en 1880. Le
buste de Houdon, en plâtre, a été moulé sur le marbre, exposé, par le grand
sculpteur, au Salon de 1804, et qui se trouvait, en 1870, dans la salle des maréchaux,
aux Tuileries. Pour le tableau de Meynier, souvent reproduit par la gravure, il fut
peint en 1803 et parut, pour la première fois, au Salon de 1808. Il contient une
bonne figure du maréchal, qu’on a lieu de supposer exécutée d’après nature.
— 3e période. 14
v.