THOMAS LAWRENCE.
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on s’afflige de revoir sans cesse les mêmes chairs rouges, avec les
mêmes touches de lumière disposées aux mêmes points. Et comme
Lawrence tenait davantage à l’éclat qu’à la durée de ses couleurs,
beaucoup de ses portraits ont déjà passé au noir en s’écaillant, ce qui
achève de les faire paraître assez peu différents les uns des autres.
C’est cependant un grand, un très grand coloriste que Thomas
Lawrence. L’impression de monotonie vient surtout du nombre
énorme de ses portraits : il est difficile de renouveler indéfiniment
ses effets lorsqu’on fait des portraits du matin au soir pendant
soixante-dix ans. Mais en réalité il n’y a pas un portrait de Lawrence
où l’on ne puisse découvrir des détails originaux, un agencement
particulier des lumières, une harmonie spéciale des chairs et du cos-
tume. Et il n’y a pas un de ces portraits où le coloris ne soit d’une
intensité, d’une fraîcheur, d’un éclat sensuel tout à fait remarquables.
Les figures des modèles sont en général d’une ressemblance
extrême. Leurs attitudes paraissent souvent convenues et théâtrales,
à moins que la recherche exagérée du naturel ne conduise le peintre
à des inventions d’une fausse simplicité légèrement ridicule. Mais
l’expression du visage est aussi forte, aussi vivante, aussi personnelle,
que chez les plus parfaits maîtres du genre. Lawrence a été, sans con-
tredit, le physionomiste le plus pénétrant de l’Ecole anglaise. Chacun
des personnages qu’il a représentés a dans le regard et le sourire une
expression individuelle qui renseigne plus sûrement sur sa condition
et son caractère que les récits des historiographes.
Mais ce n’est point pour la connaissance des personnages dont
s’occupent les historiographes, des souverains, des diplomates et des
banquiers fameux que cet art de Lawrence est surtout précieux. Il
vaut davantage encore à nous faire connaître et aimer ces adorables
jeunes femmes dont à peine nous savons les noms, dont ainsi il nous
est facile d’imaginer à notre guise le tempérament et l’histoire. A ce
point de vue, aucun peintre n’est comparable à Lawrence. Aucun ne
suggère comme lui un monde d’exquises imaginations, de respec-
tueuses passions intellectuelles, de conversations idéales. Ses modèles
féminins prennent dans ses tableaux une vie si charmante et si
familière, que pas un moment le respect dû aux œuvres d’art ne nous
empêche de les adorer.
Lawrence parvient à ce délicieux effet par la subtilité de son
observation et la chaleur de son coloris; mais ces qualités ne nous
toucheraient pas si profondément s’il n’y avait joint une façon de
génie sensuel et lascif, qui anime d’une vie extraordinaire les
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on s’afflige de revoir sans cesse les mêmes chairs rouges, avec les
mêmes touches de lumière disposées aux mêmes points. Et comme
Lawrence tenait davantage à l’éclat qu’à la durée de ses couleurs,
beaucoup de ses portraits ont déjà passé au noir en s’écaillant, ce qui
achève de les faire paraître assez peu différents les uns des autres.
C’est cependant un grand, un très grand coloriste que Thomas
Lawrence. L’impression de monotonie vient surtout du nombre
énorme de ses portraits : il est difficile de renouveler indéfiniment
ses effets lorsqu’on fait des portraits du matin au soir pendant
soixante-dix ans. Mais en réalité il n’y a pas un portrait de Lawrence
où l’on ne puisse découvrir des détails originaux, un agencement
particulier des lumières, une harmonie spéciale des chairs et du cos-
tume. Et il n’y a pas un de ces portraits où le coloris ne soit d’une
intensité, d’une fraîcheur, d’un éclat sensuel tout à fait remarquables.
Les figures des modèles sont en général d’une ressemblance
extrême. Leurs attitudes paraissent souvent convenues et théâtrales,
à moins que la recherche exagérée du naturel ne conduise le peintre
à des inventions d’une fausse simplicité légèrement ridicule. Mais
l’expression du visage est aussi forte, aussi vivante, aussi personnelle,
que chez les plus parfaits maîtres du genre. Lawrence a été, sans con-
tredit, le physionomiste le plus pénétrant de l’Ecole anglaise. Chacun
des personnages qu’il a représentés a dans le regard et le sourire une
expression individuelle qui renseigne plus sûrement sur sa condition
et son caractère que les récits des historiographes.
Mais ce n’est point pour la connaissance des personnages dont
s’occupent les historiographes, des souverains, des diplomates et des
banquiers fameux que cet art de Lawrence est surtout précieux. Il
vaut davantage encore à nous faire connaître et aimer ces adorables
jeunes femmes dont à peine nous savons les noms, dont ainsi il nous
est facile d’imaginer à notre guise le tempérament et l’histoire. A ce
point de vue, aucun peintre n’est comparable à Lawrence. Aucun ne
suggère comme lui un monde d’exquises imaginations, de respec-
tueuses passions intellectuelles, de conversations idéales. Ses modèles
féminins prennent dans ses tableaux une vie si charmante et si
familière, que pas un moment le respect dû aux œuvres d’art ne nous
empêche de les adorer.
Lawrence parvient à ce délicieux effet par la subtilité de son
observation et la chaleur de son coloris; mais ces qualités ne nous
toucheraient pas si profondément s’il n’y avait joint une façon de
génie sensuel et lascif, qui anime d’une vie extraordinaire les