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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
que, vers sa quinzième année, son père la mit dans une pension,
s’imaginant la guérir ainsi d’un àttachement romanesque pour un
jeune acteur de la troupe. Mais la pension n'y fit rien, et trois ans
après, le 26 novembre 1773, Sarah Kemble devint Mistress Sarah
Siddons. C’est seulement en 1775 qu’elle joua pour la première fois à
Londres, dans le rôle de Porcia, du Marchand de Venise; encore la
trouvons-nous de nouveau, les années suivantes, engagée dans des
troupes de province, à Birmingham, à Manchester, à Bath, où la vit
et la peignit pour la première fois le jeune Lawrence. C’est à Bath
aussi que la vit le fameux dramaturge Shéridan, et qu’il fut assez
frappé de ses qualités dramatiques pour lui ménager un engagement
au théâtre de Drury Lane. Sarah Siddons débuta à Drury Lane le
10 octobre 1782 : dès ce jour, elle fut la plus célèbre des actrices
anglaises. Son rôle préféré était Lady Macbeth; et les témoins affir-
ment que dans tous les rôles de Shakespeare, elle était d’un naturel
et d’une puissance d’émotion incomparables. Lu nature l’avait bien
douée d’ailleurs pour ces rôles héroïques. Ses innombrables portraits,
qui d’ailleurs lui prêtent les physionomies les plus diverses, et ne
ressemblent l’un à l’autre en aucune façon, ont ce seul point commun
de nous la faire voir dans des attitudes d’une élégance harmonieuse et
pleine de noblesse. Rien d’étonnant, au reste, que ses portraits ne se
ressemblent pas : car tous ceux qui ont connu Mistréss Siddons s’accor-
dent à dire que ses traits étaient changeants au possible, que son visage
était en somme d’un type trop accentué pour être joli, mais que, sur la
scène, la passion la transfigurait absolument. Ses yeux en particulier
pouvaient revêtir tour à tour vingt expressions contraires, sous de
magnifiques sourcils dont elle savait jouer avec une aisance infinie.
Il est plus facile de vanter le talent de Mistress Siddons que
d’apprécier longuement les premiers portraits du jeune Lawrence.
Ces portraits approchent pour la plupart davantage de nos photogra-
phies que d’œuvres ayant une valeur artistique. Le dessin, sans être
précisément incorrect, est un dessin gauche et banal; la pose ni
l’expression n’ont rien d’intéressant. En revanche, le sens quasi-
photographique de la ressemblance y apparaît déjà à un degré
extraordinaire, et l’on dirait même que l’enfant voit avec une telle
justesse les traits de ses modèles, qu’il lui est impossible de les
embellir. Sa Duchesse de Devonshire, de Chiswick House, n’a rien
d’une beauté à la mode, et son dessin de Mistress Siddons nous fait voir
une laideron, si on le compare avec les portraits ultérieurs exécutés
par Lawrence d’après le même modèle.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
que, vers sa quinzième année, son père la mit dans une pension,
s’imaginant la guérir ainsi d’un àttachement romanesque pour un
jeune acteur de la troupe. Mais la pension n'y fit rien, et trois ans
après, le 26 novembre 1773, Sarah Kemble devint Mistress Sarah
Siddons. C’est seulement en 1775 qu’elle joua pour la première fois à
Londres, dans le rôle de Porcia, du Marchand de Venise; encore la
trouvons-nous de nouveau, les années suivantes, engagée dans des
troupes de province, à Birmingham, à Manchester, à Bath, où la vit
et la peignit pour la première fois le jeune Lawrence. C’est à Bath
aussi que la vit le fameux dramaturge Shéridan, et qu’il fut assez
frappé de ses qualités dramatiques pour lui ménager un engagement
au théâtre de Drury Lane. Sarah Siddons débuta à Drury Lane le
10 octobre 1782 : dès ce jour, elle fut la plus célèbre des actrices
anglaises. Son rôle préféré était Lady Macbeth; et les témoins affir-
ment que dans tous les rôles de Shakespeare, elle était d’un naturel
et d’une puissance d’émotion incomparables. Lu nature l’avait bien
douée d’ailleurs pour ces rôles héroïques. Ses innombrables portraits,
qui d’ailleurs lui prêtent les physionomies les plus diverses, et ne
ressemblent l’un à l’autre en aucune façon, ont ce seul point commun
de nous la faire voir dans des attitudes d’une élégance harmonieuse et
pleine de noblesse. Rien d’étonnant, au reste, que ses portraits ne se
ressemblent pas : car tous ceux qui ont connu Mistréss Siddons s’accor-
dent à dire que ses traits étaient changeants au possible, que son visage
était en somme d’un type trop accentué pour être joli, mais que, sur la
scène, la passion la transfigurait absolument. Ses yeux en particulier
pouvaient revêtir tour à tour vingt expressions contraires, sous de
magnifiques sourcils dont elle savait jouer avec une aisance infinie.
Il est plus facile de vanter le talent de Mistress Siddons que
d’apprécier longuement les premiers portraits du jeune Lawrence.
Ces portraits approchent pour la plupart davantage de nos photogra-
phies que d’œuvres ayant une valeur artistique. Le dessin, sans être
précisément incorrect, est un dessin gauche et banal; la pose ni
l’expression n’ont rien d’intéressant. En revanche, le sens quasi-
photographique de la ressemblance y apparaît déjà à un degré
extraordinaire, et l’on dirait même que l’enfant voit avec une telle
justesse les traits de ses modèles, qu’il lui est impossible de les
embellir. Sa Duchesse de Devonshire, de Chiswick House, n’a rien
d’une beauté à la mode, et son dessin de Mistress Siddons nous fait voir
une laideron, si on le compare avec les portraits ultérieurs exécutés
par Lawrence d’après le même modèle.