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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
dans ses œuvres, s’est un peu fait attendre ; cela devait être, puisque
le goût du public et des artistes était dirigé d’un tout autre côté.
Sous prétexte de suivre le mouvement coloriste dans lequel semble
engagée la peinture contemporaine, les graveurs avaient désappris
les rudiments de leur métier. L’école de la « tache » régnant en sou-
veraine, il semblait que la forme fût devenue une superfétation et l’on
jugeait inutile d’aborder les longues et difficiles études de préparation
qu’elle exige pour être convenablement rendue. M. Gaujean n’a pas
voulu abaisser son art à n’être plus que la mise en pratique de la
science des morsures chimiques; c’est là le secret de sa force et de
l’estime où le tiennent les amateurs d’estampes, parmi toutes les
habiles gens, — il y en a d’extraordinairement habiles, — qui depuis
quinze ans environ, nous font assister à leurs jeux de blanc et noir,
étalant leurs gravures comme une étoffe pour en faire admirer « le
gras, le soyeux, et les délicieux chatoiements ». Ce n’est pas à dire
qu’il fasse fl des ressources infinies de coloration que l’acide bien
manié développe sur le cuivre; il en use comme les autres et avec
une habileté égale, mais pour lui ce n’est qu’un moyen précieux
dont il faut savoir se servir, et non un but à atteindre. Grandes ou
petites, il n’oublie pas que les estampes sont faites pour être vues de
près et que par conséquent, si séduisants qu'en soient les dehors,
nous aurons la curiosité de déchiffrer leur grimoire ; pour nous y
aider il met tous ses soins à bien dessiner son estampe. On ne saurait
agir plus judicieusement car, jusqu’à ce jour, on n’a rien inventé qui
facilite la lecture au même degré qu’un dessin intelligent : c’est la
véritable écriture du graveur.
M. Eugène Gaujean est né à Pau en 1850; élève de Pils et de
M. Waltner, il a déjà beaucoup produit, mais tout n’est pas à retenir
dans son œuvre. Lui-même ne nous saurait aucun gré de dresser le
catalogue de ses planches de début. Comme tous les graveurs, il en a
fait de mauvaises et de hâtives parce que, comme la plupart d’entre
eux, il a connu la nécessité de vivre, à une époque où son talent était
à peine formé. Ses véritables débuts ont eu lieu dans la Gazette; nous
en sommes heureux pour la revue et pour lui, car ils ont été utiles à
l’une et à l’autre. Nous n’éprouvons aucun embarras à déclarer que
plusieurs des gravures que nous lui devons nous semblent de premier
ordre ; d’ailleurs nous savons que nos lecteurs ont partagé cette
manière de voir. La Madone de San-Zeno est un prodige d’exactitude,
de fermeté et d’éclat; il n’était arrivé à aucun autre encore de faire
tenir en si peu de place une fresque de Mantegna dans ses infinis
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
dans ses œuvres, s’est un peu fait attendre ; cela devait être, puisque
le goût du public et des artistes était dirigé d’un tout autre côté.
Sous prétexte de suivre le mouvement coloriste dans lequel semble
engagée la peinture contemporaine, les graveurs avaient désappris
les rudiments de leur métier. L’école de la « tache » régnant en sou-
veraine, il semblait que la forme fût devenue une superfétation et l’on
jugeait inutile d’aborder les longues et difficiles études de préparation
qu’elle exige pour être convenablement rendue. M. Gaujean n’a pas
voulu abaisser son art à n’être plus que la mise en pratique de la
science des morsures chimiques; c’est là le secret de sa force et de
l’estime où le tiennent les amateurs d’estampes, parmi toutes les
habiles gens, — il y en a d’extraordinairement habiles, — qui depuis
quinze ans environ, nous font assister à leurs jeux de blanc et noir,
étalant leurs gravures comme une étoffe pour en faire admirer « le
gras, le soyeux, et les délicieux chatoiements ». Ce n’est pas à dire
qu’il fasse fl des ressources infinies de coloration que l’acide bien
manié développe sur le cuivre; il en use comme les autres et avec
une habileté égale, mais pour lui ce n’est qu’un moyen précieux
dont il faut savoir se servir, et non un but à atteindre. Grandes ou
petites, il n’oublie pas que les estampes sont faites pour être vues de
près et que par conséquent, si séduisants qu'en soient les dehors,
nous aurons la curiosité de déchiffrer leur grimoire ; pour nous y
aider il met tous ses soins à bien dessiner son estampe. On ne saurait
agir plus judicieusement car, jusqu’à ce jour, on n’a rien inventé qui
facilite la lecture au même degré qu’un dessin intelligent : c’est la
véritable écriture du graveur.
M. Eugène Gaujean est né à Pau en 1850; élève de Pils et de
M. Waltner, il a déjà beaucoup produit, mais tout n’est pas à retenir
dans son œuvre. Lui-même ne nous saurait aucun gré de dresser le
catalogue de ses planches de début. Comme tous les graveurs, il en a
fait de mauvaises et de hâtives parce que, comme la plupart d’entre
eux, il a connu la nécessité de vivre, à une époque où son talent était
à peine formé. Ses véritables débuts ont eu lieu dans la Gazette; nous
en sommes heureux pour la revue et pour lui, car ils ont été utiles à
l’une et à l’autre. Nous n’éprouvons aucun embarras à déclarer que
plusieurs des gravures que nous lui devons nous semblent de premier
ordre ; d’ailleurs nous savons que nos lecteurs ont partagé cette
manière de voir. La Madone de San-Zeno est un prodige d’exactitude,
de fermeté et d’éclat; il n’était arrivé à aucun autre encore de faire
tenir en si peu de place une fresque de Mantegna dans ses infinis