FRANÇOIS RUDE.
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loisirs. Les témoignages d’estime ou d’admiration qu’on lui prodigue
le font s’épanouir de contentement. Lorsqu’il est désigné par l’Admi-
nistration pour faire parti du jury d’admission à l’Exposition
universelle, il en est radieux comme un novice. Je note sans insiter,
tous ces traits où se marque, plus ou moins, l’affaissement de l’âge.
Rude, à soixante-dix ans, est soudain comme accablé. Sa sensibilité
devient excessive, parfois presque enfantine. Il a, tour à tour, des
allures pontifiantes, d’incroyables timidités, des naïvetés d’impres-
sion indicibles. La nature dépense un nombre d’années à former
un homme et peu de temps suffît à le déformer, comme un voyageur
parvenu, à force d’énergie et de patience, au sommet d’une montagne,
est précipité, en un clin d’œil, du versant opposé.
Depuis longtemps, la santé de Rude est incertaine, sinon mauvaise.
On lui connaît des suffocations produites par les battements désor-
donnés de son cœur. Il a aussi les poumons délicats et la moindre
bronchite lui est une vraie maladie. Toute l’année 1855, l’état général
ne fait que s’aggraver. Les malaises, les lassitudes, les oppressions,
les troubles nerveux redoublent de fréquence. Au sortir des longues
séances du jury d’admission, plusieurs fois il est pris de défaillances
subites. Tandis qu’il s’entretient avec les uns ou les autres, il lui
arrive de s’arrêter court, chancelant, affreusement blême, la bouche
ouverte, la respiration comme Suspendue. Il n’y prend pas garde, il
ne permet pas qu’on le soigne. En même temps, toutes ses émotions
s’exaltent au delà du vraisemblable. Les éloges dont il est l’objet à
l'Exposition le rendent tremblant. Le jour où il apprend que le jury
des récompenses, par 47 voix sur 50, lui a décerné la première des
médailles d’honneur de la sculpture, on lui voit, pour la première
fois de sa vie, une crise de larmes. Sa nièce, Mme Cabet, met au
monde une petite fille qui se nommera Françoise et de laquelle
il sera le parrain; il fait éclater sa joie follement. Encore qu’il
conserve l’apparence calme, quasi méthodique, ses nerfs se dérèglent
tout à fait et son cœur se démonte.
Nul ne se doute, pourtant, de sa fin si proche. On doit baptiser
sa petite nièce, le dimanche4 novembre. Or voici, d’après le docteur
Legrand, la fatale progression de son mal : « Le mardi 30 octobre,
Rude assiste au dîner officiel offert par le ministre de l’Intérieur
aux membres du jury. Souffrant pendant le repas, il se fait ramener
le plus tôt possible. Mme Rude ayant entendu s’arrêter la voiture et
ne voyant pas entrer son mari, ouvre la porte et l’aperçoit assis sur
une marche de l’escalier. Il a été pris d’une oppression foudroyante
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loisirs. Les témoignages d’estime ou d’admiration qu’on lui prodigue
le font s’épanouir de contentement. Lorsqu’il est désigné par l’Admi-
nistration pour faire parti du jury d’admission à l’Exposition
universelle, il en est radieux comme un novice. Je note sans insiter,
tous ces traits où se marque, plus ou moins, l’affaissement de l’âge.
Rude, à soixante-dix ans, est soudain comme accablé. Sa sensibilité
devient excessive, parfois presque enfantine. Il a, tour à tour, des
allures pontifiantes, d’incroyables timidités, des naïvetés d’impres-
sion indicibles. La nature dépense un nombre d’années à former
un homme et peu de temps suffît à le déformer, comme un voyageur
parvenu, à force d’énergie et de patience, au sommet d’une montagne,
est précipité, en un clin d’œil, du versant opposé.
Depuis longtemps, la santé de Rude est incertaine, sinon mauvaise.
On lui connaît des suffocations produites par les battements désor-
donnés de son cœur. Il a aussi les poumons délicats et la moindre
bronchite lui est une vraie maladie. Toute l’année 1855, l’état général
ne fait que s’aggraver. Les malaises, les lassitudes, les oppressions,
les troubles nerveux redoublent de fréquence. Au sortir des longues
séances du jury d’admission, plusieurs fois il est pris de défaillances
subites. Tandis qu’il s’entretient avec les uns ou les autres, il lui
arrive de s’arrêter court, chancelant, affreusement blême, la bouche
ouverte, la respiration comme Suspendue. Il n’y prend pas garde, il
ne permet pas qu’on le soigne. En même temps, toutes ses émotions
s’exaltent au delà du vraisemblable. Les éloges dont il est l’objet à
l'Exposition le rendent tremblant. Le jour où il apprend que le jury
des récompenses, par 47 voix sur 50, lui a décerné la première des
médailles d’honneur de la sculpture, on lui voit, pour la première
fois de sa vie, une crise de larmes. Sa nièce, Mme Cabet, met au
monde une petite fille qui se nommera Françoise et de laquelle
il sera le parrain; il fait éclater sa joie follement. Encore qu’il
conserve l’apparence calme, quasi méthodique, ses nerfs se dérèglent
tout à fait et son cœur se démonte.
Nul ne se doute, pourtant, de sa fin si proche. On doit baptiser
sa petite nièce, le dimanche4 novembre. Or voici, d’après le docteur
Legrand, la fatale progression de son mal : « Le mardi 30 octobre,
Rude assiste au dîner officiel offert par le ministre de l’Intérieur
aux membres du jury. Souffrant pendant le repas, il se fait ramener
le plus tôt possible. Mme Rude ayant entendu s’arrêter la voiture et
ne voyant pas entrer son mari, ouvre la porte et l’aperçoit assis sur
une marche de l’escalier. Il a été pris d’une oppression foudroyante