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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Une fois en contact avec les mœurs des habitants qui les entourent,
le goût des Juifs se développe et leur esprit s’applique à ornementer
les « vases sacrés », ce qui est nécessaire au culte soit public, soit
privé; il obéit à ce puissant besoin de progrès qui est l’apanage de
l’humanité, et pour rehausser la pratique du culte, l’artiste exerce
son talent.
Jusqu’à présent, on a dit et répété à satiété que les Juifs n’avaient
pas le sentiment artistique : c’est en quelque sorte un dogme. Mais la
question a-t-elle été suffisamment étudiée? N’y a-t-il pas eu d’art en
Israël? C’est fort problématique, et la négative ne nous est nullement
démontrée. Jadis, aussi, on était convaincu que le génie hellène avait,
seul, enfanté sa merveilleuse architecture. Et cependant, on sait,
à n’en plus douter, que l’Egypte n’a pas été sans exercer une grande
influence sur l’art grec. Cette conception, si simple et si grandiose à
la fois, des colonnes et d’un entablement, n’est pas sortie tout entière
de l’Hellade. Ces temples, qui excitent encore aujourd’hui notre en-
thousiasme, se trouvaient, — à l’état fruste, il est vrai, — dans le pays
des Pharaons. Or, on ne saurait nier l’influence que le monde égyptien
a exercé sur la Judée : influence morale et influence matérielle, dont
Moïse a été l’éclatante personnalité. Comment, cette donnée admise,
pourra-t-on persister à dire que les Juifs étaient réfractaires à l’art?
Du reste, la présente collection porte en elle, par le fait même de
son existence, une réponse péremptoire à ce sujet. Sous le règne de
Napoléon III, il s’est trouvé un musicien, également amateur éclairé,
qui était un juif pratiquant, par conséquent bien au fait des rites
du culte hébraïque : ce fut Isaac Strauss, qui eut une certaine noto-
riété comme chef d’orchestre des bals de la Cour aux Tuileries et de
l’Opéra. Il a même composé quelques valses, oubliées aujourd’hui, et
qui eurent de la vogue, grâce... au talent de son illustre homonyme de
Vienne. Son amour de l’art, joint à l’amour de sa religion, a provoqué
la formation d’une collection juive, d’une originalité incontestable.
Chaque objet est-il joli?Pas précisément, mais jamais banal. Comme
provenance, ces objets appartiennent pour la plupart à l’Italie, et
quelques-uns à la Hollande. Un seul objet est de Lyon, en pur roman
du xme siècle : l’artiste s’est évidemment inspiré d’une façade d’édi-
fice de ce temps. Ils embrassent une période de 5 à 600 ans, depuis le
xive siècle et peut-être même le xme siècle jusqu’à nos jours. Le pre-
mier monument daté en toutes lettres' est de 1472; le dernier est
t. Par une singularité dans la manière de dater, propre aux Juifs depuis le
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Une fois en contact avec les mœurs des habitants qui les entourent,
le goût des Juifs se développe et leur esprit s’applique à ornementer
les « vases sacrés », ce qui est nécessaire au culte soit public, soit
privé; il obéit à ce puissant besoin de progrès qui est l’apanage de
l’humanité, et pour rehausser la pratique du culte, l’artiste exerce
son talent.
Jusqu’à présent, on a dit et répété à satiété que les Juifs n’avaient
pas le sentiment artistique : c’est en quelque sorte un dogme. Mais la
question a-t-elle été suffisamment étudiée? N’y a-t-il pas eu d’art en
Israël? C’est fort problématique, et la négative ne nous est nullement
démontrée. Jadis, aussi, on était convaincu que le génie hellène avait,
seul, enfanté sa merveilleuse architecture. Et cependant, on sait,
à n’en plus douter, que l’Egypte n’a pas été sans exercer une grande
influence sur l’art grec. Cette conception, si simple et si grandiose à
la fois, des colonnes et d’un entablement, n’est pas sortie tout entière
de l’Hellade. Ces temples, qui excitent encore aujourd’hui notre en-
thousiasme, se trouvaient, — à l’état fruste, il est vrai, — dans le pays
des Pharaons. Or, on ne saurait nier l’influence que le monde égyptien
a exercé sur la Judée : influence morale et influence matérielle, dont
Moïse a été l’éclatante personnalité. Comment, cette donnée admise,
pourra-t-on persister à dire que les Juifs étaient réfractaires à l’art?
Du reste, la présente collection porte en elle, par le fait même de
son existence, une réponse péremptoire à ce sujet. Sous le règne de
Napoléon III, il s’est trouvé un musicien, également amateur éclairé,
qui était un juif pratiquant, par conséquent bien au fait des rites
du culte hébraïque : ce fut Isaac Strauss, qui eut une certaine noto-
riété comme chef d’orchestre des bals de la Cour aux Tuileries et de
l’Opéra. Il a même composé quelques valses, oubliées aujourd’hui, et
qui eurent de la vogue, grâce... au talent de son illustre homonyme de
Vienne. Son amour de l’art, joint à l’amour de sa religion, a provoqué
la formation d’une collection juive, d’une originalité incontestable.
Chaque objet est-il joli?Pas précisément, mais jamais banal. Comme
provenance, ces objets appartiennent pour la plupart à l’Italie, et
quelques-uns à la Hollande. Un seul objet est de Lyon, en pur roman
du xme siècle : l’artiste s’est évidemment inspiré d’une façade d’édi-
fice de ce temps. Ils embrassent une période de 5 à 600 ans, depuis le
xive siècle et peut-être même le xme siècle jusqu’à nos jours. Le pre-
mier monument daté en toutes lettres' est de 1472; le dernier est
t. Par une singularité dans la manière de dater, propre aux Juifs depuis le