LES SALONS DE 1891.
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est curieux et rempli de promesses. Et parfois il me semble que ces
quatre vers du poète Verlaine :
... Car nous voulons la nuance encor,
Pas la couleur, rien que la nuance :
La nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor...
Parfois, dis-je, il me semble que ces quatre vers sont le signe
d’une transformation plus complète de l’art, d’une séparation plus
profonde et plus radicale entre celui de la veille et celui du lende-
main, que ne le fut à son heure la creuse et tonitruante préface de
Cromwell.
Faut-il s’étonner qu’une telle révolution ne s’accomplisse pas sans
certains excès? Ce n’est pas impunément que toute une génération
ne songe qu’à
Plonger dans l’Infini pour trouver du nouveau.
L’Infini a ses vertiges, le nouveau a ses périls; et le plus grand
danger auquel nous exposent toutes ces recherches, c’est de tomber
dans la recherche. On aime à croire que la variété des formules
d’art est très grande. Pourtant, si grande qu’elle soit, elle a des
limites ; surtout, elle ne peut pas être épuisée en un petit nombre
d’années, et il faut reconnaître que la soif de nouveau qui dévore nos
jeunes artistes ressemble quelquefois à de la fièvre. De même que les
poètes symbolistes s’égarent avec trop de plaisir dans des labyrinthes
obscurs et se figurent volontiers, avec une excessive complaisance
pour eux-mêmes, que l’hermétisme suffit à sauver de la banalité, de
même certains groupes d’indépendants sont trop disposés à confondre
l’excentricité avec l’originalité. Ils sont d’ailleurs excusables, car la
démarcation est incertaine : lorsque les impressionnistes débutaient
avec toutes les exagérations de la jeunesse, pouvait-on prévoir qu’il
sortirait d’eux un art aussi parfait que celui d’un Claude Monet?
De même, qui oserait affirmer aujourd’hui que les étrangetés du
« pointillé », par exemple, n’aboutiront pas à quelques trouvailles?
Le malheur, c’est que les nouveaux venus débutent toujours en excom-
muniant le passé et en proclamant qu’eux seuls apportent toute la
vérité; s’ils étaient plus tolérants pour leurs aînés, ceux-ci les com-
prendraient plus vite. Et eux, qui ont rompu avec toute foi absolue,
devraient savoir qu’il n’y a pas plus une seule formule d’art qu’il n’y
a une seule forme de beauté. Mais peut-être cet exclusivisme des
— 3' période. 57
v.
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est curieux et rempli de promesses. Et parfois il me semble que ces
quatre vers du poète Verlaine :
... Car nous voulons la nuance encor,
Pas la couleur, rien que la nuance :
La nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor...
Parfois, dis-je, il me semble que ces quatre vers sont le signe
d’une transformation plus complète de l’art, d’une séparation plus
profonde et plus radicale entre celui de la veille et celui du lende-
main, que ne le fut à son heure la creuse et tonitruante préface de
Cromwell.
Faut-il s’étonner qu’une telle révolution ne s’accomplisse pas sans
certains excès? Ce n’est pas impunément que toute une génération
ne songe qu’à
Plonger dans l’Infini pour trouver du nouveau.
L’Infini a ses vertiges, le nouveau a ses périls; et le plus grand
danger auquel nous exposent toutes ces recherches, c’est de tomber
dans la recherche. On aime à croire que la variété des formules
d’art est très grande. Pourtant, si grande qu’elle soit, elle a des
limites ; surtout, elle ne peut pas être épuisée en un petit nombre
d’années, et il faut reconnaître que la soif de nouveau qui dévore nos
jeunes artistes ressemble quelquefois à de la fièvre. De même que les
poètes symbolistes s’égarent avec trop de plaisir dans des labyrinthes
obscurs et se figurent volontiers, avec une excessive complaisance
pour eux-mêmes, que l’hermétisme suffit à sauver de la banalité, de
même certains groupes d’indépendants sont trop disposés à confondre
l’excentricité avec l’originalité. Ils sont d’ailleurs excusables, car la
démarcation est incertaine : lorsque les impressionnistes débutaient
avec toutes les exagérations de la jeunesse, pouvait-on prévoir qu’il
sortirait d’eux un art aussi parfait que celui d’un Claude Monet?
De même, qui oserait affirmer aujourd’hui que les étrangetés du
« pointillé », par exemple, n’aboutiront pas à quelques trouvailles?
Le malheur, c’est que les nouveaux venus débutent toujours en excom-
muniant le passé et en proclamant qu’eux seuls apportent toute la
vérité; s’ils étaient plus tolérants pour leurs aînés, ceux-ci les com-
prendraient plus vite. Et eux, qui ont rompu avec toute foi absolue,
devraient savoir qu’il n’y a pas plus une seule formule d’art qu’il n’y
a une seule forme de beauté. Mais peut-être cet exclusivisme des
— 3' période. 57
v.