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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
— Commençons donc par la Voûte cl’Acier, comme tout le monde.
Il paraît que c’est le clou du Salon. Voyons, parlez, dites ce que vous
en pensez, si vous en pensez quelque chose... Moi, je n’aime pas ça,
je 11e vous en dirai rien...
Et de fait, Saurel m’écouta d’une oreille distraite, en regardant
autre chose. Je lui expliquai que ce tableau ne me plaisait guère non
plus. Une aussi vaste toile, en effet, doit avoir avant tout un certain
caractère décoratif, qui manque à la nouvelle œuvre de M. J.-P.
Laurens : rien de moins pittoresque que la lignée des échevins
tous en noir et croisant tous, dans un geste inévitablement mono-
tone, leurs épées au-dessus de leurs têtes; les deux figures cen-
trales, celle de Louis XVI et celle de Bailly, toutes deux de profil,
sont ternes aussi, et ternes encore le groupe des gentilshommes,
malgré leurs habits de cour, et les gardes à cheval, et le fond du
décor, ces fenêtres que remplissent de pâles figures. Mais ce qui me
frappe plus encore peut-être que l’insuffisance de l’exécution, c’est
l’insignifiance du sujet.
Saurel bondit, quand je hasardai cette observation...
— Incorrigible! s’écria-t-il, littérateur impénitent!... Le sujet,
toujours le sujet !... Est-ce que ça existe, le sujet?... La Ronde de Nuit,
le Banquet des Arquebusiers, tous les chefs-d’œuvre de Rembrandt,
de Franz Hais, de Velasquez, sont-ce des sujets, peut-être? Allez-
vous-en pleurer avec M. Poirier, dont vous mériteriez d’être le gendre,
sur les bons sentiments des chiens de Terre-Neuve, et laissez les
peintres à leur peinture.
Je me défendis de mon mieux.
— Vous confondez, lui dis-je, deux choses qui se ressemblent sans
être pareilles : le sujet et l’anecdote. J’ai aussi peu d’estime que
vous, et je crois vous l’avoir déjà dit, pour la peinture anecdotique,
pour les tableaux qui semblent raconter des histoires que les bonnes
gens cherchent à deviner. Mais le tableau de M. J.-P. Laurens est
précisément de ceux-là. C’est la colossale illustration d’une toute
petite anecdote, et c’est là ce qui me fâche. Comment! voilà un artiste
qui a voulu nous transporter dans cette grandiose époque de la
Révolution et la ressusciter sous nos yeux, par la magie des formes
et des couleurs. Au lieu de s’inspirer de ses grandes pages, il a été
chercher dans les Mémoires de Bailly le récit d’un petit fait de nulle
importance, d’une scène hypocrite de feinte réconciliation entre le
roi et les représentants du peuple, d’une cérémonie qui eut peut-
être à son heure un certain apparat, mais que n’a consacrée aucune
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
— Commençons donc par la Voûte cl’Acier, comme tout le monde.
Il paraît que c’est le clou du Salon. Voyons, parlez, dites ce que vous
en pensez, si vous en pensez quelque chose... Moi, je n’aime pas ça,
je 11e vous en dirai rien...
Et de fait, Saurel m’écouta d’une oreille distraite, en regardant
autre chose. Je lui expliquai que ce tableau ne me plaisait guère non
plus. Une aussi vaste toile, en effet, doit avoir avant tout un certain
caractère décoratif, qui manque à la nouvelle œuvre de M. J.-P.
Laurens : rien de moins pittoresque que la lignée des échevins
tous en noir et croisant tous, dans un geste inévitablement mono-
tone, leurs épées au-dessus de leurs têtes; les deux figures cen-
trales, celle de Louis XVI et celle de Bailly, toutes deux de profil,
sont ternes aussi, et ternes encore le groupe des gentilshommes,
malgré leurs habits de cour, et les gardes à cheval, et le fond du
décor, ces fenêtres que remplissent de pâles figures. Mais ce qui me
frappe plus encore peut-être que l’insuffisance de l’exécution, c’est
l’insignifiance du sujet.
Saurel bondit, quand je hasardai cette observation...
— Incorrigible! s’écria-t-il, littérateur impénitent!... Le sujet,
toujours le sujet !... Est-ce que ça existe, le sujet?... La Ronde de Nuit,
le Banquet des Arquebusiers, tous les chefs-d’œuvre de Rembrandt,
de Franz Hais, de Velasquez, sont-ce des sujets, peut-être? Allez-
vous-en pleurer avec M. Poirier, dont vous mériteriez d’être le gendre,
sur les bons sentiments des chiens de Terre-Neuve, et laissez les
peintres à leur peinture.
Je me défendis de mon mieux.
— Vous confondez, lui dis-je, deux choses qui se ressemblent sans
être pareilles : le sujet et l’anecdote. J’ai aussi peu d’estime que
vous, et je crois vous l’avoir déjà dit, pour la peinture anecdotique,
pour les tableaux qui semblent raconter des histoires que les bonnes
gens cherchent à deviner. Mais le tableau de M. J.-P. Laurens est
précisément de ceux-là. C’est la colossale illustration d’une toute
petite anecdote, et c’est là ce qui me fâche. Comment! voilà un artiste
qui a voulu nous transporter dans cette grandiose époque de la
Révolution et la ressusciter sous nos yeux, par la magie des formes
et des couleurs. Au lieu de s’inspirer de ses grandes pages, il a été
chercher dans les Mémoires de Bailly le récit d’un petit fait de nulle
importance, d’une scène hypocrite de feinte réconciliation entre le
roi et les représentants du peuple, d’une cérémonie qui eut peut-
être à son heure un certain apparat, mais que n’a consacrée aucune