LES SALONS DE 1891.
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solennité, aucun prestige. Comment voulez-vous donc qu’il en tire
un chef-d’œuvre? Il a été séduit, je crois, par les mots : « Voûte
d’acier », qui font d’ailleurs la plus claire fortune de son tableau.
Quant au fait en lui-même, il pourrait fournir un motif d’illustration
à une histoire populaire de la Révolution où il y aurait beaucoup
d’images, mais non pas à une composition kilométrique, à un de ces
tableaux qu’on fait pour léguer son nom à la postérité.
— Il y a peut-être là quelque chose de vrai, dit Saurel; cela
n’empêche pas que vous auriez tort si le tableau de M. Laurens était
meilleur. D’ailleurs, si le sujet avait une telle importance, il suffirait
à soutenir les artistes. Eh bien! la Fin de Babylone, la Mort de
Sardanapale, la Fin de l’Epopée, voilà des sujets importants, n’est-ce
pas? suggestifs, comme vous dites, assez vastes pour justifier l’emploi
de beaucoup de toile et de beaucoup de couleur... Allons voir ce
qu’en ont tiré MM. Rouffet, Chalon et Rochegrosse... La Fin de
l'Épopée, d’abord, qu’en dites-vous?... L’effondrement de la brigade
Dubois croulant dans un ravin, et symbolisant l’effondrement de la
puissance impériale, c’est important, c’est magnifique... Et pourtant,
allez-vous défendre cet inextricable enchevêtrement d’hommes et de
chevaux, les yeux démesurés de ces cuirassiers, l’impardonnable
sottise de celui-ci, là, au premier plan, qui retient son cheval juste
au moment de franchir le fossé?...
— Non certes, je ne défendrai rien de tout cela, quoique pourtant
le second plan ne me semble pas dépourvu d’intérêt, et qu’entre autres,
ce général qui se retourne pour commander halte soit d’un beau
mouvement. Mais je ne puis m’empêcher de croire que, là encore,
l’erreur maîtresse est dans la conception...
— Alors, toujours?...
— Presque... Ouvrez le catalogue, et lisez le fragment du Waterloo
de Victor Hugo dont M. Rouffet s’est inspiré... « C’étaient des hommes
géants sur des chevaux colosses... Le ravin était là, béant, à pic sous
les pieds des chevaux... les chevaux se dressaient, se rejetaient en
arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air,
pilant et bouleversant les cavaliers... Presque un tiers de la brigade
Dubois croula dans cet abîme... »
— Eh bien! n’est-ce pas très beau?...
— Très beau... Mais quelle emphase, quelle confusion, quel
grossissement hors nature!... Les hommes géants, les chevaux colosses,
le ravin qui devient un abîme... Un abîme dans les plaines de
Waterloo!... Peut-être que si M. Rouffet avait essayé à interpréter
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solennité, aucun prestige. Comment voulez-vous donc qu’il en tire
un chef-d’œuvre? Il a été séduit, je crois, par les mots : « Voûte
d’acier », qui font d’ailleurs la plus claire fortune de son tableau.
Quant au fait en lui-même, il pourrait fournir un motif d’illustration
à une histoire populaire de la Révolution où il y aurait beaucoup
d’images, mais non pas à une composition kilométrique, à un de ces
tableaux qu’on fait pour léguer son nom à la postérité.
— Il y a peut-être là quelque chose de vrai, dit Saurel; cela
n’empêche pas que vous auriez tort si le tableau de M. Laurens était
meilleur. D’ailleurs, si le sujet avait une telle importance, il suffirait
à soutenir les artistes. Eh bien! la Fin de Babylone, la Mort de
Sardanapale, la Fin de l’Epopée, voilà des sujets importants, n’est-ce
pas? suggestifs, comme vous dites, assez vastes pour justifier l’emploi
de beaucoup de toile et de beaucoup de couleur... Allons voir ce
qu’en ont tiré MM. Rouffet, Chalon et Rochegrosse... La Fin de
l'Épopée, d’abord, qu’en dites-vous?... L’effondrement de la brigade
Dubois croulant dans un ravin, et symbolisant l’effondrement de la
puissance impériale, c’est important, c’est magnifique... Et pourtant,
allez-vous défendre cet inextricable enchevêtrement d’hommes et de
chevaux, les yeux démesurés de ces cuirassiers, l’impardonnable
sottise de celui-ci, là, au premier plan, qui retient son cheval juste
au moment de franchir le fossé?...
— Non certes, je ne défendrai rien de tout cela, quoique pourtant
le second plan ne me semble pas dépourvu d’intérêt, et qu’entre autres,
ce général qui se retourne pour commander halte soit d’un beau
mouvement. Mais je ne puis m’empêcher de croire que, là encore,
l’erreur maîtresse est dans la conception...
— Alors, toujours?...
— Presque... Ouvrez le catalogue, et lisez le fragment du Waterloo
de Victor Hugo dont M. Rouffet s’est inspiré... « C’étaient des hommes
géants sur des chevaux colosses... Le ravin était là, béant, à pic sous
les pieds des chevaux... les chevaux se dressaient, se rejetaient en
arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air,
pilant et bouleversant les cavaliers... Presque un tiers de la brigade
Dubois croula dans cet abîme... »
— Eh bien! n’est-ce pas très beau?...
— Très beau... Mais quelle emphase, quelle confusion, quel
grossissement hors nature!... Les hommes géants, les chevaux colosses,
le ravin qui devient un abîme... Un abîme dans les plaines de
Waterloo!... Peut-être que si M. Rouffet avait essayé à interpréter