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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 5.1891

DOI issue:
Nr. 6
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Rod, Édouard: Les salons de 1891 au Champ-de-Mars et aux Champs-Élysées, 1
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https://doi.org/10.11588/diglit.24449#0493

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LES SALONS DE 1891.

455

— En revanche, admirez-vous comme moi l’héroïque impassi-
bilité du garde résigné, qui, les mains crispées sur sa pique, attend
la mort sans un geste?

— Oui, oui, il est assez bien peint.

— Et c’est la seule figure réellement expressive du tableau...
Et la façon sobre, puissante, austère, dont l’expression est obtenue,
me plaît infiniment.,. Il me semble que M. Chalon s’est trompé en
choisissant un sujet trop vaste et surtout trop compliqué pour son
talent : neuf cents femmes, des danseuses, des gardes, des musi-
ciennes, et tous les trésors de l’Orient, c’est beaucoup. Pour agencer
tout cela, il faut un instinct décoratif qui ne me paraît point compa-
tible avec les qualités de l’artiste qui a su dresser et animer cetio
figure de garde, qui en a fait le centre de sa composition, et qui a
réussi à la rendre, sans recourir aux ressources du mouvement, si
calme et pourtant si douloureuse, si héroïque et si résignée...

— Yous vous emballez un peu trop, mon cher, et sans plus penser
à la peinture, dès que vous trouvez quelque chose qui rentre dans
vos cordes. Si je vous laissais continuer, vous me diriez qu’il n’y a
pas dans la Fin de Babylone un seul morceau qui vaille celui-là. Et,
sachez-le, vous vous tromperiez grandement : la femme étendue avec
une guirlande de roses, et d’ailleurs tout le groupe qui l’entoure,
voilà de la peinture, de la vraie peinture, de la peinture de peintre,
enfin !... Et la nature morte...

— ... Oh! je vous en prie, ne parlons pas de ce homard, de ce
pâté de foie gras, de ce demi-pastèque, de ces raisins, de cette
victuaille qui me gâte tout le coin du tableau qu’elle accapare... Ce
serait peut-être très beau ailleurs; mais vous reconnaîtrez que ces
comestibles n’ont pas l’importance que l’artiste leur a donnée...

— Bah ! Ils sont superbes de couleur, ils jettent des notes écla-
tantes et superbes dans cette éblouissante symphonie, ils ont mille
raisons d’être, puisqu’ils tirent les yeux, les caressent, les,reposent...
Et vous ne direz pas, j’espère, que M. Rochegrosse a choisi un sujet
disproportionné à son talent ou qu’il manque de sens décoratif!,.. Il
en a trop plutôt, je trouve; il abuse de l’architecture, des draperies,
des bêtes fantastiques, des réminiscences des salles Dieulafoy, des
étoffes superbement riches, magnifiquement chatoyantes... Et avec
quelle justesse, avec quel éclat, il esquisse ses Perses arrivant dans
les fonds bleus du dernier plan!... Ils bougent, ils remuent, ils
s’agitent, ils triomphent... Le taquinerez-vous sur l’expression de ses
personnages? Vous vouliez de la terreur, il y a un instant ; eh bien,
 
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