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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’Heures, est à coup sûr un portrait; or, sauf la différence d'âge, il
ressemble singulièrement à celui de l’artiste qui s’est peint lui-même,
avec sa femme, dans le tableau ci-dessus qu’il offrit aux Carmélites
de Bruges. Il n’y aurait rien de surprenant dans ce fait dont on a plus
d’un exemple, et le choix du personnage auquel le miniaturiste aurait
donné ses propres traits, trouverait ici une explication toute naturelle
dans l’identité du nom. Notons que l’âge qu’avait à cette date Gérard
David, trente-cinq à quarante ans, correspond bien à celui du portrait,
tandis que le prophète est représenté plus communément en vieillard.
C’est précisément dans cette miniature que l’artiste a placé au fond
le célèbre hôpital de Saint-Jean de Bruges, et la présence de ce
monument, nullement obligatoire comme décor dans un sujet qu’on
représente d’habitude en pleine campagne, semble avoir ici une signi-
fication et rappeler la ville où maître Gérard s’était fixé dès 1483
et où il mourut quarante ans plus tard. C’est également un coin de
la même cité qu’on voit à l’arrière-plan de la ravissante miniature
de la Résurrection de Lazare, et cette double circonstance confirme tout
au moins l’origine brugeoise du volume.
On se demande aussi qui pouvait bien être le donateur de ce livre
somptueux à Alexandre YI. Je risquerai encore une hypothèse à cet
égard. Ne serait-ce pas par hasard un hommage de la part du
cardinal Domenico Grimani au pape, de qui il reçut la pourpre à
l’âge de trente-trois ans (1493), qui fut non seulement son protecteur
mais plus tard de son infortuné père, Antonio Grimani, qui trouva à
Rome refuge et aide à la suite de la condamnation qu’il avait encourue
à Yenise. Il n’y aurait rien que de très naturel dans cette façon de
manifester sa reconnaissance de la part du jeune cardinal déjà pas-
sionné pour les beaux manuscrits. Des mains d’Alexandre YI, ce
livre d’Heures dut passer entre celles de son fils Jean, duc de Gandia,
qui se fixa en Espagne et y fit souche. C’est en effet de ce pays qu’il
a été rapporté à Paris il y a une trentaine d’années.
Quoi qu’il en soit des conjectures que je viens d’émettre, et quand
bien même, ce que je ne pense pas, il faudrait renoncer à jamais à
l’espoir de dévoiler le nom du principal auteur des peintures de ce
manuscrit, il n’en reste pas moins une œuvre admirable, et l’un des
plus beaux produits de cet art charmant de la miniature, dont
l’histoire est encore à faire.
GUSTAVE PAWLOWSKI
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’Heures, est à coup sûr un portrait; or, sauf la différence d'âge, il
ressemble singulièrement à celui de l’artiste qui s’est peint lui-même,
avec sa femme, dans le tableau ci-dessus qu’il offrit aux Carmélites
de Bruges. Il n’y aurait rien de surprenant dans ce fait dont on a plus
d’un exemple, et le choix du personnage auquel le miniaturiste aurait
donné ses propres traits, trouverait ici une explication toute naturelle
dans l’identité du nom. Notons que l’âge qu’avait à cette date Gérard
David, trente-cinq à quarante ans, correspond bien à celui du portrait,
tandis que le prophète est représenté plus communément en vieillard.
C’est précisément dans cette miniature que l’artiste a placé au fond
le célèbre hôpital de Saint-Jean de Bruges, et la présence de ce
monument, nullement obligatoire comme décor dans un sujet qu’on
représente d’habitude en pleine campagne, semble avoir ici une signi-
fication et rappeler la ville où maître Gérard s’était fixé dès 1483
et où il mourut quarante ans plus tard. C’est également un coin de
la même cité qu’on voit à l’arrière-plan de la ravissante miniature
de la Résurrection de Lazare, et cette double circonstance confirme tout
au moins l’origine brugeoise du volume.
On se demande aussi qui pouvait bien être le donateur de ce livre
somptueux à Alexandre YI. Je risquerai encore une hypothèse à cet
égard. Ne serait-ce pas par hasard un hommage de la part du
cardinal Domenico Grimani au pape, de qui il reçut la pourpre à
l’âge de trente-trois ans (1493), qui fut non seulement son protecteur
mais plus tard de son infortuné père, Antonio Grimani, qui trouva à
Rome refuge et aide à la suite de la condamnation qu’il avait encourue
à Yenise. Il n’y aurait rien que de très naturel dans cette façon de
manifester sa reconnaissance de la part du jeune cardinal déjà pas-
sionné pour les beaux manuscrits. Des mains d’Alexandre YI, ce
livre d’Heures dut passer entre celles de son fils Jean, duc de Gandia,
qui se fixa en Espagne et y fit souche. C’est en effet de ce pays qu’il
a été rapporté à Paris il y a une trentaine d’années.
Quoi qu’il en soit des conjectures que je viens d’émettre, et quand
bien même, ce que je ne pense pas, il faudrait renoncer à jamais à
l’espoir de dévoiler le nom du principal auteur des peintures de ce
manuscrit, il n’en reste pas moins une œuvre admirable, et l’un des
plus beaux produits de cet art charmant de la miniature, dont
l’histoire est encore à faire.
GUSTAVE PAWLOWSKI