THOMAS LAWRENCE.
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p ersonnes qu’il connaissait à peine : des parents éloignés, des artistes
pauvres, des paysans dont la cabane avait été détruite par un incendie.
Tout son revenu passait à ces généreuses dépenses. Et il y avait aussi
la passion du collectionneur, qui se développait avec les années, et
l’habitude du bien-être, et l’ignorance absolue de toutes les règles de
l’économie. Si bien que pendant ses dix dernières années Lawrence
s’enfonça de plus en plus dans un inextricable réseau de dettes; il
eut, comme Balzac, à mener contre ses créanciers une lutte de tous
les instants.
Yoilà d’où venaient cette pâleur et cette mélancolie dont s’alar-
maient les amis de Lawrence. « En 1823, nous dit Williams, le maître
gardait encore son fonds de bonne humeur et une sérénité presque
imperturbable; mais son esprit commençait à s’épuiser sous l’excès
du travail et le renouvellement continu des embarras de toute sorte. »
En 1826, il ne sortait déjà pour ainsi dire plus de son atelier et
avait rompu toute relation avec ses amis. En 1829, à la veille de sa
mort, il s’acharnait encore au travail. 11 voulait se délivrer de ses
dettes, il voulait produire des œuvres dignes de l’idéal qu’il voyait
devant lui. Et ses dettes continuaient à monter; et sans cesse, après
avoir cru qu’il avait produit un chef-d’œuvre, il retombait dans le
doute et le découragement.
Quelques mois avant sa mort, il assista au banquet annuel d’une
société de secours dont il était président. « Me voici maintenant avancé
en âge, dit-il, et je sens venir le moment du déclin. Mais cemoment
peut venir. J’espère que j’aurai le bon sens de ne pas m’acharner pour
disputer la renommée à des artistes plus jeunes et peut-être plus
aptes. Aucun amour-propre nem’empêchera deme retirer, de renoncer
à mon métier, et cela avec joie. Ce sera un acte de justice pour les
autres et de pitié pour moi-même. »
Le malheureux! ses lettres de ce temps font voir combien il ©tait
sincère, en parlant ainsi de renoncer à son art.'Et pourtant, quelques
semaines auparavant, il s’était persuadé à lui-même que ses envois à
l’exposition de 1829, notamment sa Duchesse de Richmond et sa
Marquise de Salisbury, étaient les deux meilleures choses qu’il eût
peintes. Ainsi son âme allait toujours de la confiance au désespoir.
Et toute l’histoire de l’art n’offre pas un second exemple d’une vie
aussi lamentable que celle dé ce grand artiste, couvert de gloire et
d’honneurs, vénéré dans l’Europe entière comme un maître sans
rival, et qui gagnait des millions.
Lawrence mourut le 7 janvier 1830, d’une affection du cœur. Il
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p ersonnes qu’il connaissait à peine : des parents éloignés, des artistes
pauvres, des paysans dont la cabane avait été détruite par un incendie.
Tout son revenu passait à ces généreuses dépenses. Et il y avait aussi
la passion du collectionneur, qui se développait avec les années, et
l’habitude du bien-être, et l’ignorance absolue de toutes les règles de
l’économie. Si bien que pendant ses dix dernières années Lawrence
s’enfonça de plus en plus dans un inextricable réseau de dettes; il
eut, comme Balzac, à mener contre ses créanciers une lutte de tous
les instants.
Yoilà d’où venaient cette pâleur et cette mélancolie dont s’alar-
maient les amis de Lawrence. « En 1823, nous dit Williams, le maître
gardait encore son fonds de bonne humeur et une sérénité presque
imperturbable; mais son esprit commençait à s’épuiser sous l’excès
du travail et le renouvellement continu des embarras de toute sorte. »
En 1826, il ne sortait déjà pour ainsi dire plus de son atelier et
avait rompu toute relation avec ses amis. En 1829, à la veille de sa
mort, il s’acharnait encore au travail. 11 voulait se délivrer de ses
dettes, il voulait produire des œuvres dignes de l’idéal qu’il voyait
devant lui. Et ses dettes continuaient à monter; et sans cesse, après
avoir cru qu’il avait produit un chef-d’œuvre, il retombait dans le
doute et le découragement.
Quelques mois avant sa mort, il assista au banquet annuel d’une
société de secours dont il était président. « Me voici maintenant avancé
en âge, dit-il, et je sens venir le moment du déclin. Mais cemoment
peut venir. J’espère que j’aurai le bon sens de ne pas m’acharner pour
disputer la renommée à des artistes plus jeunes et peut-être plus
aptes. Aucun amour-propre nem’empêchera deme retirer, de renoncer
à mon métier, et cela avec joie. Ce sera un acte de justice pour les
autres et de pitié pour moi-même. »
Le malheureux! ses lettres de ce temps font voir combien il ©tait
sincère, en parlant ainsi de renoncer à son art.'Et pourtant, quelques
semaines auparavant, il s’était persuadé à lui-même que ses envois à
l’exposition de 1829, notamment sa Duchesse de Richmond et sa
Marquise de Salisbury, étaient les deux meilleures choses qu’il eût
peintes. Ainsi son âme allait toujours de la confiance au désespoir.
Et toute l’histoire de l’art n’offre pas un second exemple d’une vie
aussi lamentable que celle dé ce grand artiste, couvert de gloire et
d’honneurs, vénéré dans l’Europe entière comme un maître sans
rival, et qui gagnait des millions.
Lawrence mourut le 7 janvier 1830, d’une affection du cœur. Il