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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
homme de la force et du caractère de Molière, deux ans avant sa mort1, ait
consenti à cette pose artificielle et même ridicule que lui a donnée Nolin : les
deux mains en l’air avec une plume qui n’écrit pas, avec un livre qui n’est pas lu !
Et ce cartel qui a tant occupé quelques chercheurs voulant même y voir l’indication
de l’heure de la mort de Molière! Est-ce que Mignard eût eu recours à une telle
banalité de pose et d’arrangement en présence de son modèle? Un pareil portrait
n’a pu être fait d’après nature, par Mignard! Il est plus vraisemblable d’admettre
que Nolin lui-même est l’auteur de toute cette composition disgracieuse et qu’il
n’a emprunté de Mignard que la tête ou le buste de Molière. Nous pensons donc que
Nolin a eu devant les yeux un portrait, comme le nôtre et peut-être celui-là même,
qu’il a arrangé à sa manière, selon la commande, en lui donnant cet air triste et
vieilli que demandait son sujet. C'est, peut-être, aussi par celte raison que Gérard
Edelinck a non seulement retouché la gravure de Nolin, mais l’a aussi modifiée,
lui donnant la ressemblance extérieure d’un portrait existant de Mignard.
Quoi qu’il en soit de ces suppositions, nous avons cru utile de faire connaître
aux lecteurs de la Gazette un portrait inconnu du grand homme dont le moindre
souvenir intéresse si vivement la nation française. Nous y voyons Molière tel que
Ta connu Mme Poisson : ni trop gras, ni trop maigre, la taille plus grande que
petite (à en juger d’après le buste et les épaules), le port noble, l’air sérieux, le
nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et
forts. Le peintre fortifie ici le témoignage de l’ancienne actrice, qui a vu au
théâtre du Palais-Royal le grand artiste, paraissant avoir conservé jusqu’à la fin
de sa vie ses traits caractéristiques.
Nous sommes heureux que ce portrait soit retrouvé dans un pays qui estime
en Molière non seulement le grand écrivain, le moraliste et le chef du théâtre
français, mais y voit encore l’expression la plus haute du génie d’une nation qui a
toujours eu une grande influence sur la société russe.
Moscou.
S. SCHEIKE VITC H.
M. S. Scheikevitch ne paraît pas avoir connaissance du magnifique portrait de
Molière appartenant au duc d'Aumale, qui fit si grande sensation à l’Exposition
des Portraits historiques au Trocadéro, en 1818.
La Gazette en a publié, à cette époque, une excellente et très fidèle eau-forte
gravée par M. A. Gilbert, et notre ami Paul Mantz a parlé de la peinture avec sa
sûreté de goût habituelle. Depuis, M. Il Bouchot s’est préoccupé des origines de ce
portrait : il a bien voulu résumer pour nous le résultat de ses recherches dans la
petite note que voici :
« Le portrait de Molière que possède le duc d’Aumale provient en dernier lieu
des collections de Stafford-house au duc de Sutherland. Le duc de Sulherland
tenait cette collection d’Alexandre Lenoir, et le portrait de Molière y portait cette
mention de la main même de Lenoir : « Je le tiens d’un membre de l’Institut,
« grand admirateur de Molière, qui l’avait acheté à la vente de Caflîeri, sculpteur
« du Roi, lequel l'avait acquis d’un descendant de Molière pour exécuter sa statue
1. M. Paul Lacroix pense que ce portrait aurait pu être peint vers 1671 ou 1672.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
homme de la force et du caractère de Molière, deux ans avant sa mort1, ait
consenti à cette pose artificielle et même ridicule que lui a donnée Nolin : les
deux mains en l’air avec une plume qui n’écrit pas, avec un livre qui n’est pas lu !
Et ce cartel qui a tant occupé quelques chercheurs voulant même y voir l’indication
de l’heure de la mort de Molière! Est-ce que Mignard eût eu recours à une telle
banalité de pose et d’arrangement en présence de son modèle? Un pareil portrait
n’a pu être fait d’après nature, par Mignard! Il est plus vraisemblable d’admettre
que Nolin lui-même est l’auteur de toute cette composition disgracieuse et qu’il
n’a emprunté de Mignard que la tête ou le buste de Molière. Nous pensons donc que
Nolin a eu devant les yeux un portrait, comme le nôtre et peut-être celui-là même,
qu’il a arrangé à sa manière, selon la commande, en lui donnant cet air triste et
vieilli que demandait son sujet. C'est, peut-être, aussi par celte raison que Gérard
Edelinck a non seulement retouché la gravure de Nolin, mais l’a aussi modifiée,
lui donnant la ressemblance extérieure d’un portrait existant de Mignard.
Quoi qu’il en soit de ces suppositions, nous avons cru utile de faire connaître
aux lecteurs de la Gazette un portrait inconnu du grand homme dont le moindre
souvenir intéresse si vivement la nation française. Nous y voyons Molière tel que
Ta connu Mme Poisson : ni trop gras, ni trop maigre, la taille plus grande que
petite (à en juger d’après le buste et les épaules), le port noble, l’air sérieux, le
nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et
forts. Le peintre fortifie ici le témoignage de l’ancienne actrice, qui a vu au
théâtre du Palais-Royal le grand artiste, paraissant avoir conservé jusqu’à la fin
de sa vie ses traits caractéristiques.
Nous sommes heureux que ce portrait soit retrouvé dans un pays qui estime
en Molière non seulement le grand écrivain, le moraliste et le chef du théâtre
français, mais y voit encore l’expression la plus haute du génie d’une nation qui a
toujours eu une grande influence sur la société russe.
Moscou.
S. SCHEIKE VITC H.
M. S. Scheikevitch ne paraît pas avoir connaissance du magnifique portrait de
Molière appartenant au duc d'Aumale, qui fit si grande sensation à l’Exposition
des Portraits historiques au Trocadéro, en 1818.
La Gazette en a publié, à cette époque, une excellente et très fidèle eau-forte
gravée par M. A. Gilbert, et notre ami Paul Mantz a parlé de la peinture avec sa
sûreté de goût habituelle. Depuis, M. Il Bouchot s’est préoccupé des origines de ce
portrait : il a bien voulu résumer pour nous le résultat de ses recherches dans la
petite note que voici :
« Le portrait de Molière que possède le duc d’Aumale provient en dernier lieu
des collections de Stafford-house au duc de Sutherland. Le duc de Sulherland
tenait cette collection d’Alexandre Lenoir, et le portrait de Molière y portait cette
mention de la main même de Lenoir : « Je le tiens d’un membre de l’Institut,
« grand admirateur de Molière, qui l’avait acheté à la vente de Caflîeri, sculpteur
« du Roi, lequel l'avait acquis d’un descendant de Molière pour exécuter sa statue
1. M. Paul Lacroix pense que ce portrait aurait pu être peint vers 1671 ou 1672.