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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
L’OEUVRE DE JAGOPO DE’ BARBARI
Par Paul Kristeller L
ous avons déjà signalé2 la perfection à la-
quelle atteignent les reproductions que la
Société internationale chalcographique a
entreprises d’après les incunables de la
gravure, d’après les maîtres qui, en Italie
et en Allemagne, ont créé l’estampe origi-
nale sur cuivre et sur bois. L’œuvre du
Maître au caducée, réédité pour cette So-
ciété par M. Kristeller, avec les soins les
plus rares, a suivi, l’an dernier, l’œuvre du
Maître à l’oiseau, réuni par M. F. Lippmann.
Or, le mystérieux Jacopo de’ Barbari, qui
signait ses planches de l’emblème païen,
est pour les lecteurs de la Gazette une vieille connaissance. Dès 18613, le regretté
Galichon dressait, dans notre recueil, le catalogue de vingt-neuf cuivres épars
dans les cabinets d’Europe et cherchait à jeter quelque lumière sur l’artiste au
style ambigu. Les Notes biographiques publiées depuis par M. Charles Ephrussi
y ont également contribué,sans lever toutes les hésitations, et on peut s’en tenir,
d’après le résumé du dernier éditeur, à ceci : Qu’il soit ou non de famille alle-
mande, Jacopo naquit à Venise, entre 1440 et 1450, pratiqua médiocrement la
peinture à l’école de Bartolomeo Vivarini et se classa parmi la foule des prati-
ciens qui cherchaient, à la fin du xve siècle, une formule pour la traduction des
œuvres d’art. Malgré un goût marqué pour les représentations à l’antique, goût
contracté en Italie, le caractère de son œuvre est marqué du sceau germanique,
et, de fait, c'est en Allemagne et particulièrement à Nuremberg, oïl il résida de
longues années et conquit un vrai renom grâce à la saveur italienne de son style,
c’est d’après Schongauer et dans le voisinage d’Albert Dürer, qu’il semble avoir
étudié la gravure et forma certainement sa technique. Par un jeu d’influences
réciproques, il se trouve être ainsi maître et élève. Mais, on le voit dans les trente
cuivres reproduits par M. Kristeller, dans les deux bois mythologiques et dans
le grand plan cavalier de Venise, le procédé est nettement emprunté aux gra-
veurs allemands; plus de tailles parallèles; le trait suit le modelé, s’arrondit au
profit de la finesse du ton. Aussi est-ce sur la différence du métier que M. Kris-
teller se fonde, ajuste titre, pour le classement chronologique de ces estampes,
dont, pour dire vrai, la plupart n’ont qu’un intérêt documentaire. Comment mé-
connaître, cependant, l’intérêt éveillé par l’examen des artistes hybrides qui ont
servi de véhicules, entre les centres de culture esthétique autrefois isolés?
A. R.
1. Société internationale chalcographique. Paris, Vienne, Londres, Berlin, New-York,
1896. Un album de 6 p. et xxvi pl.
2. V. Gazette des Beaux-Arts, 3° pérr., t. XIV, p. 330.
3. Ibid, t. XI, p. 446 et suiv. ; VIII, p. 222 et suiv.
L’Administrateur-gérant : J. ROUAM.
PARIS. — IMPRIMERIE GEORGES PETIT, 12, RUE GODOT-DE-MAUROI.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
L’OEUVRE DE JAGOPO DE’ BARBARI
Par Paul Kristeller L
ous avons déjà signalé2 la perfection à la-
quelle atteignent les reproductions que la
Société internationale chalcographique a
entreprises d’après les incunables de la
gravure, d’après les maîtres qui, en Italie
et en Allemagne, ont créé l’estampe origi-
nale sur cuivre et sur bois. L’œuvre du
Maître au caducée, réédité pour cette So-
ciété par M. Kristeller, avec les soins les
plus rares, a suivi, l’an dernier, l’œuvre du
Maître à l’oiseau, réuni par M. F. Lippmann.
Or, le mystérieux Jacopo de’ Barbari, qui
signait ses planches de l’emblème païen,
est pour les lecteurs de la Gazette une vieille connaissance. Dès 18613, le regretté
Galichon dressait, dans notre recueil, le catalogue de vingt-neuf cuivres épars
dans les cabinets d’Europe et cherchait à jeter quelque lumière sur l’artiste au
style ambigu. Les Notes biographiques publiées depuis par M. Charles Ephrussi
y ont également contribué,sans lever toutes les hésitations, et on peut s’en tenir,
d’après le résumé du dernier éditeur, à ceci : Qu’il soit ou non de famille alle-
mande, Jacopo naquit à Venise, entre 1440 et 1450, pratiqua médiocrement la
peinture à l’école de Bartolomeo Vivarini et se classa parmi la foule des prati-
ciens qui cherchaient, à la fin du xve siècle, une formule pour la traduction des
œuvres d’art. Malgré un goût marqué pour les représentations à l’antique, goût
contracté en Italie, le caractère de son œuvre est marqué du sceau germanique,
et, de fait, c'est en Allemagne et particulièrement à Nuremberg, oïl il résida de
longues années et conquit un vrai renom grâce à la saveur italienne de son style,
c’est d’après Schongauer et dans le voisinage d’Albert Dürer, qu’il semble avoir
étudié la gravure et forma certainement sa technique. Par un jeu d’influences
réciproques, il se trouve être ainsi maître et élève. Mais, on le voit dans les trente
cuivres reproduits par M. Kristeller, dans les deux bois mythologiques et dans
le grand plan cavalier de Venise, le procédé est nettement emprunté aux gra-
veurs allemands; plus de tailles parallèles; le trait suit le modelé, s’arrondit au
profit de la finesse du ton. Aussi est-ce sur la différence du métier que M. Kris-
teller se fonde, ajuste titre, pour le classement chronologique de ces estampes,
dont, pour dire vrai, la plupart n’ont qu’un intérêt documentaire. Comment mé-
connaître, cependant, l’intérêt éveillé par l’examen des artistes hybrides qui ont
servi de véhicules, entre les centres de culture esthétique autrefois isolés?
A. R.
1. Société internationale chalcographique. Paris, Vienne, Londres, Berlin, New-York,
1896. Un album de 6 p. et xxvi pl.
2. V. Gazette des Beaux-Arts, 3° pérr., t. XIV, p. 330.
3. Ibid, t. XI, p. 446 et suiv. ; VIII, p. 222 et suiv.
L’Administrateur-gérant : J. ROUAM.
PARIS. — IMPRIMERIE GEORGES PETIT, 12, RUE GODOT-DE-MAUROI.