Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 18.1897

DOI Heft:
Nr. 3
DOI Artikel:
Pératé, André: L' exposition du Guildhall à Londres: correspondance d'Angleterre
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.28027#0289

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
262

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

et le Retour clu bal, à Santa Marta, toutes deux exposées à la Royal Academy en
•1846, deux des plus parfaites parmi les dernières œuvres du maître de la lu-
mière, avec, ici, les gondoles éclairées glissant dans un crépuscule d'or où meu-
rent des tons verts et roses, et là, ces mêmes gondoles dans l’or plus pâle et les
roseurs plus fraîches du soleil levant. Puis, de 1806, le Départ d’Adonis pour la
chasse (à M. Cuthbert Quilter), oïl Turner s’inspire encore de Titien et de Reynolds,
mais avec une souplesse et une chaleur merveilleuses.

A ces maîtres généreux, qui sont d’un autre âge, succède le banal et sot
défilé des narrateurs d’anecdotes académiques, des corrects et insipides dessina-
teurs. Maclise est là, avec sa fameuse scène du Banquet de Macbeth, de 1840 (au
comte de Chesterfield), et Murleady, Egg, Webster,, ceux que Ruskin allait
foudroyer de ses plus jeunes et plus virulentes invectives; encore ne semblent-
ils pas tous si méprisables : la Noce de village, de Wilkie (The penny wedding),
prêtée par la reine, demeure une très jolie chose à la manière hollandaise. Mais
les heureux rivaux des académiciens nous appellent, nous retiennent dans la
petite salle voisine. Ici enfin, pour la première fois peut-être, on peut apprécier
l’ensemble du mouvement préraphaélite, les deux courants très distincts qui le
déterminent, et se côtoient sans se mêler : d’un côté Madox Brown avec son
fidèle imitateur Holman Hunt, de l’autre Rossetti, qui a sa descendance en
Burne-Jones ; entre Madox Brown et Rossetti, deux excellents peintres, Millais
et Hughes.

L’exposition récente, à la Grafton Gallery, des peintures et cartons du grand
initiateur préraphaélite, Ford Madox Brown, dispensait évidemment le comité
du Guildhall de présenter une seconde fois au public des œuvres dont la mé-
moire restait fraîche et vivante ; cependant on a c-ru bien faire, et l’on a très
bien fait, d’emprunter à la Corporation de Birmingham la toile la plus populaire
du maître, Les Émigrants (The Icist of Engl and). Au premier abord, on est quel-
que peu rebuté par la sécheresse et la violence des tons ; puis, l’œil s’habitue,
et l’attention se prend aux infinis détails, et s’attache, et ne peut s’arracher :
c'est la vie dans sa réalité poignante. Le bateau vient de partir ; il fend la mer
verte sous le ciel gris, au long de la falaise crayeuse qui bientôt va s’effacer. A
l’arrière, des hommes rient et fument, ou montrent le poing au sol ingrat ; une
fillette mord un fruit vert. Mais assis, isolés, un homme et une femme regardent
encore, et concentrent leur vie dans ce regard. La femme, de son grand châle
gris, abrite un poupon, car elle serre dans sa main nue une petite main rou-
geaude. L’autre main, gantée de noir, se pose sur la main nue de l’homme, bleuie
de froid, et l’on voit la chair plus pâle, où le sang tarde à remonter, aux endroits
qu’a serrés le pauvre gant noir taché de violet. Le vent glacé soulève les rubans
roses et le voile bleu du chapeau, quelques fils bruns de la chevelure. Et l’homme,
bien serré dans son caban brunâtre, et fronçant les sourcils, tient ouvert sur la
femme un parapluie où ruissellent les gouttes épaisses de 1 embrun. Au cordage
de Barrière, des choux verts et rouges sont suspendus ; 1 eau glisse sans s’arrêter
sur leurs côtes luisantes. La femme regarde ; ces yeux tendres et douloureux, ces
admirables yeux rougis et gonllés de larmes qui ne coulent pas encore, ils sont
tout le tableau.

Fidélité impitoyable du détail, dominée par la profonde émotion, voilà la
force de cette peinture. Tous ces prodiges d’exécution nous apparaissent subor-
 
Annotationen