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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
type, une silhouette ; la beauté intime de l’original demeure insai-
sissable et, pour pouvoir la restituer par la pensée, il faudrait que
nous connussions des originaux dus à la main des mêmes maîtres,
imprégnés de leur âme et de leur génie. Mais où trouver ces origi-
naux? Où peut-on voir un marbre sculpté de la propre main de
Phidias ?
Cependant, les archéologues ne se découragent pas. Des légions
de savants travaillent continuellement, suivent les indications les
plus fugitives, comme des Indiens dans la prairie ou des chercheurs
d’or d’autrefois dans leurs laboratoires. Pourquoi s’étonner si les
résultats auxquels ils arrivent participent souvent à l’incertitude de
ceux de l’alchimie, si l’or qu’ils croient découvrir est souvent du
clinquant? De temps en temps, toutefois, une vraie pépite de métal
fin les récompense — et cela suffit. Mais nous, qui étudions l’art de
la Renaissance, nous marchons sur un terrain bien autrement solide.
Pour peu que nous ayons appris à nous servir de nos yeux, de notre
faculté imaginative et de notre raison, nous pouvons obtenir des
résultats certains et presque tangibles, comme l’étude de l'archéo-
logie antique ne saurait en espérer.
Je me propose de parler ici de quelques copies d’originaux per-
dus de Giorgione, ce grand maître dont les ouvrages sont devenus
plus rares que ceux de tout autre artiste éminent de la Renaissance.
Pourtant, quelle qu’eu soit la rareté, nous possédons des œuvres in-
discutables qui correspondent aux différentes phases de sa vie à la
fois si courte et si variée. Une fois qu’on a prouvé que tel tableau
doit être la copie d’un original perdu de Giorgione, ceux d’entre nous
qui savent insuffler la vie de l'art dans la froideur inanimée d’une
copie (qualité sans laquelle la critique est plus qu’inutile), n’éprou-
vent pas de difficulté à assimiler cette copie au style de quelqu’un
des originaux connus et à lui restituer, par la pensée, la beauté que
l’original dut avoir lorsque la main de Giorgione s’en écarta. Pré-
cisément parce que Giorgione est si riche, nous pouvons prêter
beaucoup de charme à une œuvre qui dérive de lui ; nous pouvons
traduire les copies de ses tableaux dans un langage tout inspiré de
l’éclat des originaux que nous possédons.
I
Comment reconnaître avec certitude qu’un tableau est une copie
de Giorgione?— Plutôt que de décrire in cibstrcicto la méthode qu il
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
type, une silhouette ; la beauté intime de l’original demeure insai-
sissable et, pour pouvoir la restituer par la pensée, il faudrait que
nous connussions des originaux dus à la main des mêmes maîtres,
imprégnés de leur âme et de leur génie. Mais où trouver ces origi-
naux? Où peut-on voir un marbre sculpté de la propre main de
Phidias ?
Cependant, les archéologues ne se découragent pas. Des légions
de savants travaillent continuellement, suivent les indications les
plus fugitives, comme des Indiens dans la prairie ou des chercheurs
d’or d’autrefois dans leurs laboratoires. Pourquoi s’étonner si les
résultats auxquels ils arrivent participent souvent à l’incertitude de
ceux de l’alchimie, si l’or qu’ils croient découvrir est souvent du
clinquant? De temps en temps, toutefois, une vraie pépite de métal
fin les récompense — et cela suffit. Mais nous, qui étudions l’art de
la Renaissance, nous marchons sur un terrain bien autrement solide.
Pour peu que nous ayons appris à nous servir de nos yeux, de notre
faculté imaginative et de notre raison, nous pouvons obtenir des
résultats certains et presque tangibles, comme l’étude de l'archéo-
logie antique ne saurait en espérer.
Je me propose de parler ici de quelques copies d’originaux per-
dus de Giorgione, ce grand maître dont les ouvrages sont devenus
plus rares que ceux de tout autre artiste éminent de la Renaissance.
Pourtant, quelle qu’eu soit la rareté, nous possédons des œuvres in-
discutables qui correspondent aux différentes phases de sa vie à la
fois si courte et si variée. Une fois qu’on a prouvé que tel tableau
doit être la copie d’un original perdu de Giorgione, ceux d’entre nous
qui savent insuffler la vie de l'art dans la froideur inanimée d’une
copie (qualité sans laquelle la critique est plus qu’inutile), n’éprou-
vent pas de difficulté à assimiler cette copie au style de quelqu’un
des originaux connus et à lui restituer, par la pensée, la beauté que
l’original dut avoir lorsque la main de Giorgione s’en écarta. Pré-
cisément parce que Giorgione est si riche, nous pouvons prêter
beaucoup de charme à une œuvre qui dérive de lui ; nous pouvons
traduire les copies de ses tableaux dans un langage tout inspiré de
l’éclat des originaux que nous possédons.
I
Comment reconnaître avec certitude qu’un tableau est une copie
de Giorgione?— Plutôt que de décrire in cibstrcicto la méthode qu il