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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sion d’une sorte de disgrâce. On ne parla plus du portrait en grand
qu’il avait commencé ; il semble même que cet ouvrage ne fut pas
terminé. Bien mieux, quand, six ans plus tard, à la fin de l’année
1777, Liotard alla faire un nouveau séjour à Vienne, où naguère il
avait été fort en vogue, il fut comme délaissé. Marie-Thérèse lui fit,
il est vrai, bon accueil ; mais ce fut tout. La cour et la noblesse
qui, lors de ses précédents voyages, l’avaient accablé de commandes,
lui préférèrent Roslin, alors en pleine faveur. Aussi le vieux Liotard,
aigri et chagrin, écrivait à son ami François Tronchin : « On ne me
fait peindre aucune archiduchesse ; on craint que je ne les fasse pas
assez belles L »
Pour atténuer l’effet produit par la loyauté de Liotard, Mercy
chercha un peintre plus habile courtisan, et quand il l’eut rencontré
il entonna un chant de victoire ; le 22 juin 1771, il annonçait son
succès à l’Impératrice en ces termes : « Je crois avoir enfin trouvé
un peintre qui réussira à faire un portrait bien ressemblant de
Mme la Dauphine dans ses habillements de cheval ; cet ouvrage s’exé-
cute sous mes yeux ; mais il faudra encore quelques semaines avant
qu’il puisse être achevé et porté au degré de perfection nécessaire. »
Le 8 juillet, Marie-Thérèse répondait: «J’attends avec empressement
le portrait de ma fille que vous m’annoncez, celui de Liotard n'ayant
guère réussi. » On se hâta; le 2i juillet, l’ambassadeur expédia ce
portrait, et dans sa lettre d’envoi il affirma qu’il était d’une ressem-
blance frappante. C’était ce que demandait l’Impératrice; le 17 août,
elle écrivit donc à sa fille : « J'ai reçu votre portrait en pastel très
ressemblant ; il fait mes délices et celles de toute la famille 2. »
Ces éloges donnent fort à penser. Ce pastel, également conservé
à Laxenbourg, à côté de celui de Liotard, nous offre une image de
Marie-Antoinette flattée et embellie plus qu’on ne saurait l’ima-
giner. Le chapeau, adroitement placé, couvre le sommet du front,
dont il cache la hauteur excessive ; les yeux, ainsi que les lèvres,
sont habilement arrangés et l’ovale du visage est devenu régulier.
Le corps, un peu penché en avant, se devine souple et flexible. Les
étoffes sont traitées avec un art parfait ; le rouge de l'habit et de la
jupe, tranchant sur le fond bleu de la veste, met en pleine valeur le
radieux visage au teint éclatant de fraîcheur de la jeune princesse.
Quel est l’auteur de ce superbe portrait ? On ne le connaît pas. A
1. Henry Tronchin, Le conseiller Tronchin et scs amis. Paris, Plon, 1895, in-8°,
p. 261.
2. Marie-Antoinette, op. cit., p. 177, 184 et 196.
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sion d’une sorte de disgrâce. On ne parla plus du portrait en grand
qu’il avait commencé ; il semble même que cet ouvrage ne fut pas
terminé. Bien mieux, quand, six ans plus tard, à la fin de l’année
1777, Liotard alla faire un nouveau séjour à Vienne, où naguère il
avait été fort en vogue, il fut comme délaissé. Marie-Thérèse lui fit,
il est vrai, bon accueil ; mais ce fut tout. La cour et la noblesse
qui, lors de ses précédents voyages, l’avaient accablé de commandes,
lui préférèrent Roslin, alors en pleine faveur. Aussi le vieux Liotard,
aigri et chagrin, écrivait à son ami François Tronchin : « On ne me
fait peindre aucune archiduchesse ; on craint que je ne les fasse pas
assez belles L »
Pour atténuer l’effet produit par la loyauté de Liotard, Mercy
chercha un peintre plus habile courtisan, et quand il l’eut rencontré
il entonna un chant de victoire ; le 22 juin 1771, il annonçait son
succès à l’Impératrice en ces termes : « Je crois avoir enfin trouvé
un peintre qui réussira à faire un portrait bien ressemblant de
Mme la Dauphine dans ses habillements de cheval ; cet ouvrage s’exé-
cute sous mes yeux ; mais il faudra encore quelques semaines avant
qu’il puisse être achevé et porté au degré de perfection nécessaire. »
Le 8 juillet, Marie-Thérèse répondait: «J’attends avec empressement
le portrait de ma fille que vous m’annoncez, celui de Liotard n'ayant
guère réussi. » On se hâta; le 2i juillet, l’ambassadeur expédia ce
portrait, et dans sa lettre d’envoi il affirma qu’il était d’une ressem-
blance frappante. C’était ce que demandait l’Impératrice; le 17 août,
elle écrivit donc à sa fille : « J'ai reçu votre portrait en pastel très
ressemblant ; il fait mes délices et celles de toute la famille 2. »
Ces éloges donnent fort à penser. Ce pastel, également conservé
à Laxenbourg, à côté de celui de Liotard, nous offre une image de
Marie-Antoinette flattée et embellie plus qu’on ne saurait l’ima-
giner. Le chapeau, adroitement placé, couvre le sommet du front,
dont il cache la hauteur excessive ; les yeux, ainsi que les lèvres,
sont habilement arrangés et l’ovale du visage est devenu régulier.
Le corps, un peu penché en avant, se devine souple et flexible. Les
étoffes sont traitées avec un art parfait ; le rouge de l'habit et de la
jupe, tranchant sur le fond bleu de la veste, met en pleine valeur le
radieux visage au teint éclatant de fraîcheur de la jeune princesse.
Quel est l’auteur de ce superbe portrait ? On ne le connaît pas. A
1. Henry Tronchin, Le conseiller Tronchin et scs amis. Paris, Plon, 1895, in-8°,
p. 261.
2. Marie-Antoinette, op. cit., p. 177, 184 et 196.