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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Cette réprimande méritée lit le meilleur effet. On reconnut, dit Mercy
que la Dauphine « savait apprécier les procédés, se faire rendre
les égards et les respects qui lui étaient dus et se ressentir des fautes
qu’en pareil cas on pourrait commettre envers elle. » Les filles de
Louis XV en furent si étonnées qu’elles avouèrent à leur jeune nièce
qu'elles n’auraient pas osé tenir une conduite aussi ferme, et Mmo Adé-
laïde ajouta : «On voit bien que vous n’ètes pas de notre sang1. »
Nous l’avons dit, les plus habiles peintres de ce temps furent,
l’un après l’autre, chargés de faire le portrait de cette charmante
princesse. Drouais, alors au plus haut point de sa vogue, eut son
tour. En 1772, il peignit Marie-Antoinette en Hébé et, l’année sui-
vante, il exposa ce portrait au Salon avec ceux de Louis XV, de la
comtesse de Provence, de la Dubarry et plusieurs autres ; mais ce
peintre profitait sans vergogne de la mode qui le favorisait; il pre-
nait peu de peine et, cette fois du moins., il n’eut pas à s’en louer.
Les Mémoires secrets portent sur ces œuvres ce jugement sévère :
« M. Drouais a échoué absolument dans... (le portrait) de Mme la
Dauphine peinte en Hébé, de Mme la comtesse de Provence peinte en
Diane ; ces deux portraits n’ont aucun relief et les étoffes ne font
aucune illusion 2. » Dans une brochure de circonstance, intitulée
Dialogues sur la peinture, la critique est encore plus forte; l’auteur
dit à son interlocuteur qu’il n’ose pas lui montrer ce portrait « si
peu rendu » ; il reproche au peintre d’avoir défiguré la Dauphine et
d’avoir fait preuve de peu de goût dans l’arrangement de sa cheve-
lure : « il (Drouais) n’a senti, dit-il, son idée qu’à demi et, pour sa
personne, il n’y en a pas un mot3. » Il est vrai que les Eloges des
tableaux exposés au Salon contiennent ce passage : « Si vous voulez,
Monsieur, voir son portrait très ressemblant, venez dans cette croi-
sée n° 78. L’auteur ne pouvait rencontrer un modèle plus heureux
pour peindre la jeune Hébé4.» Mais ce sont là louanges banales, de
pure complaisance, et rien de plus.
Ce portrait, destiné, avec celui de Louis XV et de la comtesse
de Provence, à orner le cabinet du Roi à Choisy, est aujourd hui au
château de Chantilly. Il n’est pas plus mauvais que tous les autres
1. Arneth et Geffroy, Marie-Antoinette, op. cit., t. I, p. 178.
2. Mémoires secrets, t. XIII, p. J54.
3. Dialogues sur la peinture. Paris, s. d. (1773), in-12, p. 124-126.
4. Éloges des tableaux exposés au Louvre, le 26 août 1773, p. 47. Paris, 1773,
in-S°.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Cette réprimande méritée lit le meilleur effet. On reconnut, dit Mercy
que la Dauphine « savait apprécier les procédés, se faire rendre
les égards et les respects qui lui étaient dus et se ressentir des fautes
qu’en pareil cas on pourrait commettre envers elle. » Les filles de
Louis XV en furent si étonnées qu’elles avouèrent à leur jeune nièce
qu'elles n’auraient pas osé tenir une conduite aussi ferme, et Mmo Adé-
laïde ajouta : «On voit bien que vous n’ètes pas de notre sang1. »
Nous l’avons dit, les plus habiles peintres de ce temps furent,
l’un après l’autre, chargés de faire le portrait de cette charmante
princesse. Drouais, alors au plus haut point de sa vogue, eut son
tour. En 1772, il peignit Marie-Antoinette en Hébé et, l’année sui-
vante, il exposa ce portrait au Salon avec ceux de Louis XV, de la
comtesse de Provence, de la Dubarry et plusieurs autres ; mais ce
peintre profitait sans vergogne de la mode qui le favorisait; il pre-
nait peu de peine et, cette fois du moins., il n’eut pas à s’en louer.
Les Mémoires secrets portent sur ces œuvres ce jugement sévère :
« M. Drouais a échoué absolument dans... (le portrait) de Mme la
Dauphine peinte en Hébé, de Mme la comtesse de Provence peinte en
Diane ; ces deux portraits n’ont aucun relief et les étoffes ne font
aucune illusion 2. » Dans une brochure de circonstance, intitulée
Dialogues sur la peinture, la critique est encore plus forte; l’auteur
dit à son interlocuteur qu’il n’ose pas lui montrer ce portrait « si
peu rendu » ; il reproche au peintre d’avoir défiguré la Dauphine et
d’avoir fait preuve de peu de goût dans l’arrangement de sa cheve-
lure : « il (Drouais) n’a senti, dit-il, son idée qu’à demi et, pour sa
personne, il n’y en a pas un mot3. » Il est vrai que les Eloges des
tableaux exposés au Salon contiennent ce passage : « Si vous voulez,
Monsieur, voir son portrait très ressemblant, venez dans cette croi-
sée n° 78. L’auteur ne pouvait rencontrer un modèle plus heureux
pour peindre la jeune Hébé4.» Mais ce sont là louanges banales, de
pure complaisance, et rien de plus.
Ce portrait, destiné, avec celui de Louis XV et de la comtesse
de Provence, à orner le cabinet du Roi à Choisy, est aujourd hui au
château de Chantilly. Il n’est pas plus mauvais que tous les autres
1. Arneth et Geffroy, Marie-Antoinette, op. cit., t. I, p. 178.
2. Mémoires secrets, t. XIII, p. J54.
3. Dialogues sur la peinture. Paris, s. d. (1773), in-12, p. 124-126.
4. Éloges des tableaux exposés au Louvre, le 26 août 1773, p. 47. Paris, 1773,
in-S°.