GUSTAVE MOREAU
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hauts mystères devenant tangibles, prenant le relief de la vie et le
manteau de la réalité terrestre; et il ne se crée plus de religions.
Mais qu’importe, si les champs du mythe antique sont ouverts
à tous les horizons ?
Ce royaume sans bornes, l’artiste s’y plongeait avec une ivresse
fougueuse. Un des motifs qu'il répéta le plus souvent, c’est celui
de la Chimère bondissant dans le vide ou du dragon planant dans
l’éther. L’audacieux qui se confie au monstre pour de vertigineux
voyages, c’est l’artiste lui-même en quête des empyrées divins.
L’àme de Gustave Moreau était une âme trempée, d’une sensi-
bilité réfléchie, soucieuse, passionnée, inclinée vers ces généralisa-
tions que la philosophie moderne a développées en nous. Elle déborda
le terrain antique ; elle dépassa les mythologies faciles, aussi bien
que les imitations pédantes de la tradition classique.
Ainsi, en entrant dans cet atelier, dans ce laboratoire où il pra-
tiqua de vraies transmutations, on s’aperçoit que certains thèmes
directeurs l’ont hanté. Je citerai les suivants, comme exemples des
idées morales et dégagées de mysticisme stérile qu’il enferme dans
les formes rituelles de l’allégorie restaurée :
Le triomphe du Bien sur le Mal ou du Beau sur la Laideur, sous
les traits de héros vainqueurs de monstres ;
La glorification des sacrifices ou l’apothéose des rédempteurs,
des conducteurs de peuples, des apôtres et des prophètes primor-
diaux ;
La pérennité du chant sacré, la survie de la poésie aux porteurs
de lyre morts ;
L’union du dieu multiforme et de la créature reconnaissante ;
etc.
Au sujet d’un tableau inspiré par ce dernier thème, une Léda,
Gustave Moreau a laissé manuscrite la paraphrase que voici :
LÉDA. — LE SACRE
« Le dieu se manifeste, la foudre éclate, l’amour terrestre fuit au loin.
« Le cygne roi, auréolé, au regard sombre, pose sa tète sur celle de la
blanche figure toute repliée en elle-même, dans la pose hiératique d’initiée,
humble sous ce sacre divin.
« Eimmaculée blancheur sous la blancheur divine.
« L’incantation se manifeste, le dieu s’incarne en cette beauté pure.
« Le mystère s’accomplit, et, devant ce groupe sacré et religieux, se
dressent deux génies accompagnés de l’aigle, portant des attributs divins : la
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hauts mystères devenant tangibles, prenant le relief de la vie et le
manteau de la réalité terrestre; et il ne se crée plus de religions.
Mais qu’importe, si les champs du mythe antique sont ouverts
à tous les horizons ?
Ce royaume sans bornes, l’artiste s’y plongeait avec une ivresse
fougueuse. Un des motifs qu'il répéta le plus souvent, c’est celui
de la Chimère bondissant dans le vide ou du dragon planant dans
l’éther. L’audacieux qui se confie au monstre pour de vertigineux
voyages, c’est l’artiste lui-même en quête des empyrées divins.
L’àme de Gustave Moreau était une âme trempée, d’une sensi-
bilité réfléchie, soucieuse, passionnée, inclinée vers ces généralisa-
tions que la philosophie moderne a développées en nous. Elle déborda
le terrain antique ; elle dépassa les mythologies faciles, aussi bien
que les imitations pédantes de la tradition classique.
Ainsi, en entrant dans cet atelier, dans ce laboratoire où il pra-
tiqua de vraies transmutations, on s’aperçoit que certains thèmes
directeurs l’ont hanté. Je citerai les suivants, comme exemples des
idées morales et dégagées de mysticisme stérile qu’il enferme dans
les formes rituelles de l’allégorie restaurée :
Le triomphe du Bien sur le Mal ou du Beau sur la Laideur, sous
les traits de héros vainqueurs de monstres ;
La glorification des sacrifices ou l’apothéose des rédempteurs,
des conducteurs de peuples, des apôtres et des prophètes primor-
diaux ;
La pérennité du chant sacré, la survie de la poésie aux porteurs
de lyre morts ;
L’union du dieu multiforme et de la créature reconnaissante ;
etc.
Au sujet d’un tableau inspiré par ce dernier thème, une Léda,
Gustave Moreau a laissé manuscrite la paraphrase que voici :
LÉDA. — LE SACRE
« Le dieu se manifeste, la foudre éclate, l’amour terrestre fuit au loin.
« Le cygne roi, auréolé, au regard sombre, pose sa tète sur celle de la
blanche figure toute repliée en elle-même, dans la pose hiératique d’initiée,
humble sous ce sacre divin.
« Eimmaculée blancheur sous la blancheur divine.
« L’incantation se manifeste, le dieu s’incarne en cette beauté pure.
« Le mystère s’accomplit, et, devant ce groupe sacré et religieux, se
dressent deux génies accompagnés de l’aigle, portant des attributs divins : la