Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 21.1899

DOI issue:
Nr. 1
DOI article:
Renan, Ary: Gustave Moreau, 1
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.24685#0025

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
18

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

gonflées d'intentions, mais fermement assises, n’ont jamais rien de
flottant, d’imprécis, de sous-entendu. Lorsqu’on peint l’Idée, il faut
la peindre avec lucidité, sans rébus et sans logogriphe; les instincls
de la race française ne s’accommodcntpas du nuage ni de l’hyperbole :
elle veut une philosophie claire, une poésie équilibrée, une plastique
lisible pour tous, et le bon sens public a fait justice déjà des balbu-
tiements qu'une petite école parasite, dont on a faussement attribué
la paternité à Moreau, avait inaugurés sous le couvert de prospectus
cabalistiques. Point d’arcanes dans la façon dont Moreau dessine et
peint la Fable, point de hasard ni d’hésitation dans la ligne expres-
sive ; on dirait de camées entaillés à coup sûr et dans une pierre
aux couches brillantes, par un outil tour à tour impérieux et
caressant.

Son dessin est très beau : il n’a cependant qu’à des heures de
rare abandon cette naïveté, cette humble inconscience qui, chez un
Ingres ou chez un Puvis de Chavannes, sont l’effet d’une vive
émotion, d'une communion candide avec la nature; il est châtié,
affirmatif et ingénieusement stylisé. Pans le modèle, l'artiste 11e
cherche pas la vérité du geste — nous verrons plus loin pourquoi ; —
il ne cherche pas la silhouette, car il porte en soi, préconçue et
despotique, l’architecture de sa composition ; il note seulement des
accents, quelques traits d’anatomie délicate. A sa pleine maturité,
quand la pondération des forces diverses est chez lui souveraine, il
atteint à la perfection; le type féminin qu’il affectionne est d'une
chaste et troublante vénusté; le type de l’éphèbe viril dont il ne se
départit pas a des proportions d'une élégance réellement olympienne.
En est-il un meilleur exemple que le groupe de Jason et iMédée, dont
la gravure est jointe à ces pages? La planche de M. Patricot, un chef-
d’œuvre accompli de fidélité, de parallélisme victorieux, traduit en
perfection la souple énergie et l’immense tendresse par quoi Moreau
vivifiait les héros de ses rêves. Ces deux êtres sveltes et inoccupés,
aux membres d’une indolence divine, laissant errer leurs mains fines
— à peine si leurs doigts se serrent sur de très simples hochets, —
ces deux simulacres d’une humanité sans tache, n'habitent-ils pas
en maîtres, plus loin encore que la Colchide heureuse, le miracu-
leux royaume d’Utopie?

La richesse inouïe du coloris renforça, dans l’œuvre de
Gustave Moreau, l’autorité du style. Accords précieux, éclats hardis,
nuances scrupuleusement graduées devaient concourir au sentiment
général selon des règles affinées. Du vêtement, de la draperie somp-
 
Annotationen