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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Numai, frère du cardinal d’Araceli1; c’est l’un ou l'aulre de ces
deux Antoine qui restait si longtemps à la campagne, comme on voit
dans la lettre de Michel-Ange.
11 n’est pas douteux que le « Johannes » nommé dans cette lettre
soit Jean de Médicis. « Johannes », « Giovanni », dans tous les docu-
ments de cette série inédite, si précieuse pour l’histoire, c’est tou-
jours lui, rien que lui. Et c’est parce que les lettres adressées à For-
tunati parlaient de lui, de ses affaires, qu’elles ont été conservées
dans les papiers des Médicis. Il est assez rare, surtout dans les pre-
mières années et pour ces affaires intimes, qu’on lui donne son
nom complet « Jean de Médicis » ; c’est « Giovanni », ou bien, si
François Ier ou quelque Français lui écrit, « Jehan », « Janin ».
Brantôme parlera de lui sous cette même forme2.
Ainsi, nous pouvons songer à cette rencontre singulière: Michel-
Ange prié de prendre en main l’éducation de Jean des Bandes noires.
On n’aurait osé pressentir le Buonarroti pour un autre qu’un
petit prince : il fallait déjà quelque audace pour lui demander ses
loisirs, même pour un Sforza-Mcdicis. Qu’aurait-il fait de Jean, si,
par une fantaisie passagère, il avait accepté ce fardeau, « pondus » ?
L’aurait-il amusé, dompté, par le génie et par la force? Lui, qui
brisait le marbre comme le bois tendre, aurait-il ployé cet enfant
barbare? La matière vivante ne le tenta point : les artistes veulent
une œuvre plus durable que l’éducation d'un prince.
Michel-Ange se traitait d’« ignorant de lettres ». Il ne l’était aucu-
nement. Outre les sermons de Savonarole, qui faisaient, avec la Divine
Comédie, son pain quotidien, il savait à fond et Boccace et Pétrarque,
et les autres poètes toscans ; il les lisait avec une prononciation si
parfaite et si pure que son hôte à Bologne et son protecteur, Jean-
François Aldovrandi, se plaisait à le faire lire autant qu’à le voir des-
siner3. Il aurait mieux intéressé le petit Jean de Médicis, en lui faisant
apprendre les lettres toscanes, que ne savaient faire ses autres maîtres,
lorsqu’ils tentaient de lui surcharger la mémoire avec des vers latins4.
1. Tous ces renseignements sont tirés du Discorso sopra Giov. dei Mcdici,
scritto da G. B. Tedaldi, etc., publié par Ciampi dans les Notizie dei secoli
XV e XVI, etc. Florence, 1833, in-8°, p. 89, et de Moreni, Memorie storiche dclV
Ambrosiana R. Basilica di San Lorcnzo, I, 94-95.
2. Hommes illustres et grands capitaines étrangers. Leyde, 1665, in-12, p. 318
et suiv.
3. Yasari, Vit a de M. A. Buonarroti, éd. Milanesi, VII, p. 147.
4. Lettre de Zan. Acciaiuoli, frère prêcheur, àFortunati. (« Med. av. Princ. »,
liasse LXX, p. 180.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Numai, frère du cardinal d’Araceli1; c’est l’un ou l'aulre de ces
deux Antoine qui restait si longtemps à la campagne, comme on voit
dans la lettre de Michel-Ange.
11 n’est pas douteux que le « Johannes » nommé dans cette lettre
soit Jean de Médicis. « Johannes », « Giovanni », dans tous les docu-
ments de cette série inédite, si précieuse pour l’histoire, c’est tou-
jours lui, rien que lui. Et c’est parce que les lettres adressées à For-
tunati parlaient de lui, de ses affaires, qu’elles ont été conservées
dans les papiers des Médicis. Il est assez rare, surtout dans les pre-
mières années et pour ces affaires intimes, qu’on lui donne son
nom complet « Jean de Médicis » ; c’est « Giovanni », ou bien, si
François Ier ou quelque Français lui écrit, « Jehan », « Janin ».
Brantôme parlera de lui sous cette même forme2.
Ainsi, nous pouvons songer à cette rencontre singulière: Michel-
Ange prié de prendre en main l’éducation de Jean des Bandes noires.
On n’aurait osé pressentir le Buonarroti pour un autre qu’un
petit prince : il fallait déjà quelque audace pour lui demander ses
loisirs, même pour un Sforza-Mcdicis. Qu’aurait-il fait de Jean, si,
par une fantaisie passagère, il avait accepté ce fardeau, « pondus » ?
L’aurait-il amusé, dompté, par le génie et par la force? Lui, qui
brisait le marbre comme le bois tendre, aurait-il ployé cet enfant
barbare? La matière vivante ne le tenta point : les artistes veulent
une œuvre plus durable que l’éducation d'un prince.
Michel-Ange se traitait d’« ignorant de lettres ». Il ne l’était aucu-
nement. Outre les sermons de Savonarole, qui faisaient, avec la Divine
Comédie, son pain quotidien, il savait à fond et Boccace et Pétrarque,
et les autres poètes toscans ; il les lisait avec une prononciation si
parfaite et si pure que son hôte à Bologne et son protecteur, Jean-
François Aldovrandi, se plaisait à le faire lire autant qu’à le voir des-
siner3. Il aurait mieux intéressé le petit Jean de Médicis, en lui faisant
apprendre les lettres toscanes, que ne savaient faire ses autres maîtres,
lorsqu’ils tentaient de lui surcharger la mémoire avec des vers latins4.
1. Tous ces renseignements sont tirés du Discorso sopra Giov. dei Mcdici,
scritto da G. B. Tedaldi, etc., publié par Ciampi dans les Notizie dei secoli
XV e XVI, etc. Florence, 1833, in-8°, p. 89, et de Moreni, Memorie storiche dclV
Ambrosiana R. Basilica di San Lorcnzo, I, 94-95.
2. Hommes illustres et grands capitaines étrangers. Leyde, 1665, in-12, p. 318
et suiv.
3. Yasari, Vit a de M. A. Buonarroti, éd. Milanesi, VII, p. 147.
4. Lettre de Zan. Acciaiuoli, frère prêcheur, àFortunati. (« Med. av. Princ. »,
liasse LXX, p. 180.)