118
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
liait au peintre. Leur père n’était pas un pilote de Honfleur, mais le
maître d’équipage à bord du Français, steamer qui fait le service du
Havre à Honfleur ; puis, il fréta un bateau de pêche où le petit Eugène
servit comme mousse. La mer le prenait : l’influence dn milieu
s’impose; mais pourquoi fut-il peintre? comment devint-il artiste?
En 1835, à la mort du père, il est au Havre, au n° 51 du Grand-
Quai, où sa sœur habite encore. Son destin le fait imprimeur : à
treize ans, il entre chez Joseph Morlent, l’historien havrais; de quinze
à dix-huit, plutôt commis qu’ouvrier, il tient la correspondance de
son nouveau patron, M. Lemale. A cette adolescence besoigneuse
remontent les primes essais de peinture, de dessin plutôt, ces crayons
candides et précis ravigotés d’aquarelle, ces Croquis du vieux Havre,
où s’éveille une vocation. Ensuite, il devient l’associé de son contre-
maître, M. Acher. Ses essais parent la vitrine. Millet l’encourage,
puis Ribot. A vingt-trois ans, scs protecteurs lui font obtenir la pen-
sion de la ville du Havre, et voilà notre peintre en diligence pour
Paris. De rudes journées ; mais l’espoir, ce soleil des palettes stu-
dieuses. Point d’atelier : le jeune homme va frapper à la porte de
Millet, de Troyon, de Corot, qui pressent en lui le parent de son art.
De longs après-midi au Louvre, devant Ruisdaël : et les nuages du
Coup de soleil impriment sur ses yeux leur modelé splendide. Les
études de printemps alternent avec les copies d’hiver. Le Louvre est
complété par la nature. Mais le Paris de 18i8 est dur aux artistes :
une loterie s’organise en leur faveur. De retour au Havre, après une
excursion d’art dans le Nord, Boudin risque une première exposi-
tion d’une centaines d’études, dont la vente lui permet un premier
voyage en Bretagne. La vallée de la Touques l’associe à son peintre
habituel, au vigoureux Constant Troyon, qui lui confiera la fugitive
légèreté des ciels où sa réputation commence : tel, jadis, Paul Bril
peignant les fonds des Carrache, ou le jeune Ruisdaël enveloppant
de mélancolie les pâtres vermillonnés de Berghem. Dix ans de colla-
boration s’ensuivent, aboutissant au premier Salon de Paris, remar-
qué par Baudelaire. C’est dans le Salon de 1859, lettres au directeur
de la Revue Française. Et voici la page :
Oui, l’imagination fait te paysage. Je comprends qu’un esprit appliqué
à prendre des notes ne puisse pas s’abandonner aux prodigieuses rêveries
contenues dans les spectacles de la nature présente; mais pourquoi l'ima-
gination fuit-elle l’atelier du paysagiste ? Peut-être les artistes qui cultivent
ce genre se défient-ils beaucoup trop de leur mémoire et adoptent-ils une
méthode de copie immédiate, qui s’accommode parfaitement à la paresse de
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
liait au peintre. Leur père n’était pas un pilote de Honfleur, mais le
maître d’équipage à bord du Français, steamer qui fait le service du
Havre à Honfleur ; puis, il fréta un bateau de pêche où le petit Eugène
servit comme mousse. La mer le prenait : l’influence dn milieu
s’impose; mais pourquoi fut-il peintre? comment devint-il artiste?
En 1835, à la mort du père, il est au Havre, au n° 51 du Grand-
Quai, où sa sœur habite encore. Son destin le fait imprimeur : à
treize ans, il entre chez Joseph Morlent, l’historien havrais; de quinze
à dix-huit, plutôt commis qu’ouvrier, il tient la correspondance de
son nouveau patron, M. Lemale. A cette adolescence besoigneuse
remontent les primes essais de peinture, de dessin plutôt, ces crayons
candides et précis ravigotés d’aquarelle, ces Croquis du vieux Havre,
où s’éveille une vocation. Ensuite, il devient l’associé de son contre-
maître, M. Acher. Ses essais parent la vitrine. Millet l’encourage,
puis Ribot. A vingt-trois ans, scs protecteurs lui font obtenir la pen-
sion de la ville du Havre, et voilà notre peintre en diligence pour
Paris. De rudes journées ; mais l’espoir, ce soleil des palettes stu-
dieuses. Point d’atelier : le jeune homme va frapper à la porte de
Millet, de Troyon, de Corot, qui pressent en lui le parent de son art.
De longs après-midi au Louvre, devant Ruisdaël : et les nuages du
Coup de soleil impriment sur ses yeux leur modelé splendide. Les
études de printemps alternent avec les copies d’hiver. Le Louvre est
complété par la nature. Mais le Paris de 18i8 est dur aux artistes :
une loterie s’organise en leur faveur. De retour au Havre, après une
excursion d’art dans le Nord, Boudin risque une première exposi-
tion d’une centaines d’études, dont la vente lui permet un premier
voyage en Bretagne. La vallée de la Touques l’associe à son peintre
habituel, au vigoureux Constant Troyon, qui lui confiera la fugitive
légèreté des ciels où sa réputation commence : tel, jadis, Paul Bril
peignant les fonds des Carrache, ou le jeune Ruisdaël enveloppant
de mélancolie les pâtres vermillonnés de Berghem. Dix ans de colla-
boration s’ensuivent, aboutissant au premier Salon de Paris, remar-
qué par Baudelaire. C’est dans le Salon de 1859, lettres au directeur
de la Revue Française. Et voici la page :
Oui, l’imagination fait te paysage. Je comprends qu’un esprit appliqué
à prendre des notes ne puisse pas s’abandonner aux prodigieuses rêveries
contenues dans les spectacles de la nature présente; mais pourquoi l'ima-
gination fuit-elle l’atelier du paysagiste ? Peut-être les artistes qui cultivent
ce genre se défient-ils beaucoup trop de leur mémoire et adoptent-ils une
méthode de copie immédiate, qui s’accommode parfaitement à la paresse de