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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Aussi bien, Tes formules semblent-elles épuisées. L’architecture et l’art déco-
ratif, dans quelques tentatives intéressantes de rajeunissement, ont certainement
poussé jusqu’à l’outrance le souci de faire « autrement ». Si bon accueil que l’on
fasse à leurs efforts, celui-ci ne saurait prétendre à produire des choses durables.
En sens opposé, une même outrance se montre dans l’appropriation des éléments
anciens à laquelle se vouent des architectes d’incontestable talent, mais dont
l’archaïsme, quoi qu’on en dise, ne tend pas à un progrès.
Allez à Bruges: pour quelques restaurations assez intelligemment conduites,
vous verrez une succession de façades nouvelles, conçues d’après des données
en quelque sorte invariables, dans lesquelles l'initiative de l’architecte ne tient
qu’une place secondaire. Reconnaissons, au surplus, qu'une partie notable du
siècle qui s’achève s'est passée à combattre dans l'art les plus légitimes aspira-
tions au pittoresque ; or, nulle forme de protestation ne saurait être tenue pour
excessive au regard des choses abominables enfantées sous l’empire du système
réputé « classique ». Nos provinces ont vu se perpétrer, en matière d'architecture,
de véritables crimes, à la faveur de cette aberration.
S’il y a pour les masses un progrès manifeste dans le respect qui environne
les choses du passé, il re-te énormément à faire dans cette direction, et presque
chaque jour nous en offre la preuve.
Les lieux les plus pittoresques souffrent sans cesse de l’incurie des édiles en
ce qui concerne la sauvegarde des anciens monuments d'art. Quotidiennement,
à la faveur d'une vanité étroite, se commettent en province de véritables actes de
vandalisme. Tout récemment encore, au cours d’une visite à une des villes de
Flandre les plus riches en souvenirs architecturaux du xvie et du xvue siècle,
on me montrait des façades exquises condamnées à disparaître très prochaine-
ment, pour faire place à d’autres « au dernier goût du jour ».
Un propriétaire est sans doute libre d’en user à sa guise, là où il s'agit de
son bien; encore faudrait-il tenter quelque effort pour enrayer le mal, et nous
sommes toujours dans l’attente de la loi, si souvent promise, qui soustraira nos
monuments aux dangers qui les menacent. On a vu se produire, au Congrès de
l’Art public, tenu à Bnixelles en septembre, une théorie n’aboutissant à
rien moins qu’à frustrer les particuliers du droit de disposer de leurs immeubles
et de leurs œuvres d’art, grevés de servitude au profit de la communauté. L au-
teur de la proposition créait ainsi une « propriété privée d'intérêt public ». Où
il s’agissait d’œuvres d’art, le possesseur même pouvait être contraint à les
exposer publiquement ; dans tous les cas, il n’en pouvait dérober la vue aux ama-
teurs. Une brochure récente, Questions d'art : Conservation des monuments du
passé, par M. Henry Rousseau, attaché à la direction des Beaux-Arts, expose des
principes fort analogues et que nous doutons de voir prévaloir.
En ce qui concerne la loi protectrice des monuments, l'auteur observe
avec raison que déjà il a été dressé, par les soins de la commission compétente,
une liste des édifices présentant un intérêt d’art ou d’histoire qui justifie l’inter-
vention pécuniaire des pouvoirs publics en vue de leur entretien et de leur res-
tauration. M. Rousseau estime que les mêmes avantages étant étendus, en quel-
que mesure, au domaine privé, nombre d’immeubles intéressants pourraient
être sauvés de la destruction. C’est possible, quoique de réalisation difficile et
onéreuse. Où, croyons-nous, l’auteur fait fausse route, c'est quand il crée
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Aussi bien, Tes formules semblent-elles épuisées. L’architecture et l’art déco-
ratif, dans quelques tentatives intéressantes de rajeunissement, ont certainement
poussé jusqu’à l’outrance le souci de faire « autrement ». Si bon accueil que l’on
fasse à leurs efforts, celui-ci ne saurait prétendre à produire des choses durables.
En sens opposé, une même outrance se montre dans l’appropriation des éléments
anciens à laquelle se vouent des architectes d’incontestable talent, mais dont
l’archaïsme, quoi qu’on en dise, ne tend pas à un progrès.
Allez à Bruges: pour quelques restaurations assez intelligemment conduites,
vous verrez une succession de façades nouvelles, conçues d’après des données
en quelque sorte invariables, dans lesquelles l'initiative de l’architecte ne tient
qu’une place secondaire. Reconnaissons, au surplus, qu'une partie notable du
siècle qui s’achève s'est passée à combattre dans l'art les plus légitimes aspira-
tions au pittoresque ; or, nulle forme de protestation ne saurait être tenue pour
excessive au regard des choses abominables enfantées sous l’empire du système
réputé « classique ». Nos provinces ont vu se perpétrer, en matière d'architecture,
de véritables crimes, à la faveur de cette aberration.
S’il y a pour les masses un progrès manifeste dans le respect qui environne
les choses du passé, il re-te énormément à faire dans cette direction, et presque
chaque jour nous en offre la preuve.
Les lieux les plus pittoresques souffrent sans cesse de l’incurie des édiles en
ce qui concerne la sauvegarde des anciens monuments d'art. Quotidiennement,
à la faveur d'une vanité étroite, se commettent en province de véritables actes de
vandalisme. Tout récemment encore, au cours d’une visite à une des villes de
Flandre les plus riches en souvenirs architecturaux du xvie et du xvue siècle,
on me montrait des façades exquises condamnées à disparaître très prochaine-
ment, pour faire place à d’autres « au dernier goût du jour ».
Un propriétaire est sans doute libre d’en user à sa guise, là où il s'agit de
son bien; encore faudrait-il tenter quelque effort pour enrayer le mal, et nous
sommes toujours dans l’attente de la loi, si souvent promise, qui soustraira nos
monuments aux dangers qui les menacent. On a vu se produire, au Congrès de
l’Art public, tenu à Bnixelles en septembre, une théorie n’aboutissant à
rien moins qu’à frustrer les particuliers du droit de disposer de leurs immeubles
et de leurs œuvres d’art, grevés de servitude au profit de la communauté. L au-
teur de la proposition créait ainsi une « propriété privée d'intérêt public ». Où
il s’agissait d’œuvres d’art, le possesseur même pouvait être contraint à les
exposer publiquement ; dans tous les cas, il n’en pouvait dérober la vue aux ama-
teurs. Une brochure récente, Questions d'art : Conservation des monuments du
passé, par M. Henry Rousseau, attaché à la direction des Beaux-Arts, expose des
principes fort analogues et que nous doutons de voir prévaloir.
En ce qui concerne la loi protectrice des monuments, l'auteur observe
avec raison que déjà il a été dressé, par les soins de la commission compétente,
une liste des édifices présentant un intérêt d’art ou d’histoire qui justifie l’inter-
vention pécuniaire des pouvoirs publics en vue de leur entretien et de leur res-
tauration. M. Rousseau estime que les mêmes avantages étant étendus, en quel-
que mesure, au domaine privé, nombre d’immeubles intéressants pourraient
être sauvés de la destruction. C’est possible, quoique de réalisation difficile et
onéreuse. Où, croyons-nous, l’auteur fait fausse route, c'est quand il crée