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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
parmi les excellentes. Il y eut donc, plus tard, quelque parti pris à
nier le talent à ceux qui en avaient fait preuve et de les cxcluer
comme incapables.
Mais vingt ans ont passé, et tout a changé. Les maudits d’alors
sont, en effet, parmi les favoris d’aujourd’hui. Malheureusement,
le temps n’apporte pas que des bénéfices, et les artistes, naguère
encore décriés, qui étaient, à cette époque de lutte, dans la plénitude
de l’âge mûr, ont à présent le pressentiment de la vieillesse. Et
nous qui admirons et comprenons leur art — sans y avoir grand mérite
tant il nous fut expliqué par nos prédécesseurs dans la carrière,— nous
en sommes à leur rendre des honneurs nécrologiques avant d’avoir
pu même raconter leurs succès. La mort est la triste suivante de la
renommée. 11 y aurait de l’ingénuité à s’étonner des victoires tardives.
C’est une loi. Les vieux moralistes ont composé là-dessus tous les
aphorismes qu’il y avait à faire. Ouvrez les livres.
Alfred Sisley a eu le sort commun. La vie lui était enfin aimable
quand elle l’a quitté. Son histoire n’est pas longue. L’analyse de son
talent, le caractère du groupe auquel il appartenait, l'opposition faite
à ce groupe et son idéal y prennent fatalement plus de place que les
événements. Ces événements, d’ailleurs, sont sans répercussion dans
son œuvre. C’est le cas de presque tous les paysagistes. Le peu que
nous savons de l’existence de Ruysdaël nous suffit. Sur Rembrandt,
il nous en fallait davantage.
Il paraît que l’Angleterre n’a pas attendu la mort de Sisley pour
nous le disputer. A la vérité, il était Anglais par sa naissance, mais
son père, un honorable commissionnaire en Heurs artificielles, était
venu de bonne heure s’installer à Paris, et c’est à Paris que le jeune
Alfred grandit, s’instruisit et devint peintre. De sa première édu-
cation, qui fut naturellement anglaise, il ne conserva qu’un trait :
c’est, à travers les pires misères, une certaine correction de tenue et
des faux-cols irréprochablement blancs. Il faut dire que son père,
pour êlre Anglais, n’en ressemblait pas moins à beaucoup de pères,
et, peu satisfait de voir son fils préférer la peinture aux sérieuses
occupations du commerce, l’avait abandonné aux intempéries de la
bohème. Sisley, devenu homme, fit un séjour en Angleterre. Il eut
plutôt l’impression de se trouver en pays étranger que celle d’être
dans sa vraie patrie. En tout cas, les Anglais ne montrèrent pas
d’empressement à l’accueillir et encore moins à le garder. Malheu-
reux et méconnu en France, le jeune peintre n’aurait cependant pas
été insensible aux hommages de ses compatriotes et ceux-ci Peussent
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parmi les excellentes. Il y eut donc, plus tard, quelque parti pris à
nier le talent à ceux qui en avaient fait preuve et de les cxcluer
comme incapables.
Mais vingt ans ont passé, et tout a changé. Les maudits d’alors
sont, en effet, parmi les favoris d’aujourd’hui. Malheureusement,
le temps n’apporte pas que des bénéfices, et les artistes, naguère
encore décriés, qui étaient, à cette époque de lutte, dans la plénitude
de l’âge mûr, ont à présent le pressentiment de la vieillesse. Et
nous qui admirons et comprenons leur art — sans y avoir grand mérite
tant il nous fut expliqué par nos prédécesseurs dans la carrière,— nous
en sommes à leur rendre des honneurs nécrologiques avant d’avoir
pu même raconter leurs succès. La mort est la triste suivante de la
renommée. 11 y aurait de l’ingénuité à s’étonner des victoires tardives.
C’est une loi. Les vieux moralistes ont composé là-dessus tous les
aphorismes qu’il y avait à faire. Ouvrez les livres.
Alfred Sisley a eu le sort commun. La vie lui était enfin aimable
quand elle l’a quitté. Son histoire n’est pas longue. L’analyse de son
talent, le caractère du groupe auquel il appartenait, l'opposition faite
à ce groupe et son idéal y prennent fatalement plus de place que les
événements. Ces événements, d’ailleurs, sont sans répercussion dans
son œuvre. C’est le cas de presque tous les paysagistes. Le peu que
nous savons de l’existence de Ruysdaël nous suffit. Sur Rembrandt,
il nous en fallait davantage.
Il paraît que l’Angleterre n’a pas attendu la mort de Sisley pour
nous le disputer. A la vérité, il était Anglais par sa naissance, mais
son père, un honorable commissionnaire en Heurs artificielles, était
venu de bonne heure s’installer à Paris, et c’est à Paris que le jeune
Alfred grandit, s’instruisit et devint peintre. De sa première édu-
cation, qui fut naturellement anglaise, il ne conserva qu’un trait :
c’est, à travers les pires misères, une certaine correction de tenue et
des faux-cols irréprochablement blancs. Il faut dire que son père,
pour êlre Anglais, n’en ressemblait pas moins à beaucoup de pères,
et, peu satisfait de voir son fils préférer la peinture aux sérieuses
occupations du commerce, l’avait abandonné aux intempéries de la
bohème. Sisley, devenu homme, fit un séjour en Angleterre. Il eut
plutôt l’impression de se trouver en pays étranger que celle d’être
dans sa vraie patrie. En tout cas, les Anglais ne montrèrent pas
d’empressement à l’accueillir et encore moins à le garder. Malheu-
reux et méconnu en France, le jeune peintre n’aurait cependant pas
été insensible aux hommages de ses compatriotes et ceux-ci Peussent