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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
se rappelant à propos les procédés techniques de Millet, ou bien,
pour traduire le clair-obscur mystérieux des intérieurs, remontant
plus haut, jusqu’au grand souvenir de Rembrandt, il s’attache de
plus en plus à son sujet, qu'il approfondit par des voyages réitérés,
et s’intéresse avec passion à cette forme de l’humanité héroïque et
patriarcale qui lui apparaît dans son beau caractère primitif, au
milieu de son splendide décor. Dès lors, il nous donne de cette civi-
lisation arabe, que ses prédécesseurs avaient craint souvent de nous
présenter sous ses aspects exceptionnels, une peinture très originale,
vivante, humaine par son caractère général, et cependant fortement
empreinte du charme pénétrant de la vérité locale.
Jusqu’alors, en effet, les peintres orientalistes n’avaient guère
considéré, dans le magnifique sujet qui les avait séduits, que ce qui
constituait proprement l’élément pittoresque. Ds apportaient encore
dans ce choix quelque embarras et quelque pusillanimité. Fromentin
lui-même, qui avait trouvé l’Algérie et en avait senti toute la poésie
si particulière, réservait pour ses écrits ce qu’il appelait « de péril-
leuses nouveautés», n’osant point, dans ses tableaux, s’écarter des
habitudes traditionnelles de l’école.
Guillaümet s’est vu contraint de déplacer le point de vue artis-
tique, et c’est par là qu’il ouvre la voie aux orientalistes qui Font
suivi. S'il est vrai qu’il ait toujours conservé un idéal étroitement
pittoresque : la préoccupation de résoudre les problèmes de la
lumière, le souci d’exprimer l’enveloppe des êtres et des choses à
travers les vibrations de l’atmosphère, qui hantaient l’esprit de tous
les peintres à ce moment, il est également exact de dire que, le pre-
mier., il a osé entrer jusqu’au fond dans l’intimité de la vie arabe.
C’est qu’il faut se dire aussi que, depuis le jour où Fromentin
écrivait ses deux immortels ouvrages du Sahel et du Sahara, notre
grande colonie d’outre-mer a subi bien des transformations. La pré-
face de 1874 le constate elle-même douloureusement. L’union des
races, qui ne se fait pas assez tôt au gré des désirs de nos politiques, est
déjà trop avancée au point de vue de l’art. Le regret de voir, chaque
jour, disparaître sous la brutalité égoïste de notre exploitation occi-
dentale les vestiges de ces spectacles, de ces mœurs, de ces cos-
tumes, de toute cette féerie d'Orient dont les derniers mirages nous
charment encore aujourd’hui, a fait naître le désir de noter scrupu-
leusement, pour en conserver du moins l’image, tout ce qui reste
encore de couleur, de poésie, d’étrangeté, de séduction sous ce ciel
qui, lui, du moins, ne changera pas. En même temps, les scrupules
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
se rappelant à propos les procédés techniques de Millet, ou bien,
pour traduire le clair-obscur mystérieux des intérieurs, remontant
plus haut, jusqu’au grand souvenir de Rembrandt, il s’attache de
plus en plus à son sujet, qu'il approfondit par des voyages réitérés,
et s’intéresse avec passion à cette forme de l’humanité héroïque et
patriarcale qui lui apparaît dans son beau caractère primitif, au
milieu de son splendide décor. Dès lors, il nous donne de cette civi-
lisation arabe, que ses prédécesseurs avaient craint souvent de nous
présenter sous ses aspects exceptionnels, une peinture très originale,
vivante, humaine par son caractère général, et cependant fortement
empreinte du charme pénétrant de la vérité locale.
Jusqu’alors, en effet, les peintres orientalistes n’avaient guère
considéré, dans le magnifique sujet qui les avait séduits, que ce qui
constituait proprement l’élément pittoresque. Ds apportaient encore
dans ce choix quelque embarras et quelque pusillanimité. Fromentin
lui-même, qui avait trouvé l’Algérie et en avait senti toute la poésie
si particulière, réservait pour ses écrits ce qu’il appelait « de péril-
leuses nouveautés», n’osant point, dans ses tableaux, s’écarter des
habitudes traditionnelles de l’école.
Guillaümet s’est vu contraint de déplacer le point de vue artis-
tique, et c’est par là qu’il ouvre la voie aux orientalistes qui Font
suivi. S'il est vrai qu’il ait toujours conservé un idéal étroitement
pittoresque : la préoccupation de résoudre les problèmes de la
lumière, le souci d’exprimer l’enveloppe des êtres et des choses à
travers les vibrations de l’atmosphère, qui hantaient l’esprit de tous
les peintres à ce moment, il est également exact de dire que, le pre-
mier., il a osé entrer jusqu’au fond dans l’intimité de la vie arabe.
C’est qu’il faut se dire aussi que, depuis le jour où Fromentin
écrivait ses deux immortels ouvrages du Sahel et du Sahara, notre
grande colonie d’outre-mer a subi bien des transformations. La pré-
face de 1874 le constate elle-même douloureusement. L’union des
races, qui ne se fait pas assez tôt au gré des désirs de nos politiques, est
déjà trop avancée au point de vue de l’art. Le regret de voir, chaque
jour, disparaître sous la brutalité égoïste de notre exploitation occi-
dentale les vestiges de ces spectacles, de ces mœurs, de ces cos-
tumes, de toute cette féerie d'Orient dont les derniers mirages nous
charment encore aujourd’hui, a fait naître le désir de noter scrupu-
leusement, pour en conserver du moins l’image, tout ce qui reste
encore de couleur, de poésie, d’étrangeté, de séduction sous ce ciel
qui, lui, du moins, ne changera pas. En même temps, les scrupules