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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
croire, apparaît comme une sorte d’épreuve de Shakespeare avant la
lettre. Précédant d’une génération Facteur-dramaturge de la cour
d’Elisabeth, ses manières, ses fréquentations, le plaçaient sur un
pied de familiarité, parfois même d’intimilé, avec l’aristocratie de
son temps; l’étendue et la puissance de son esprit cultivé, aussi
bien que les exigences professionnelles do son art, le niellaient à
l'aise — van Mander nous l’a appris — aussi bien avec les petits qu'avec
les grands. Il avait ainsi accès auprès des pourvoyeurs ordinaires
du luxe princier; sans doute, il leur fournit plus d'une fois les
dessins de ces accoutrements, de ces coiffures et chaussures, de
ces livrées et équipements, accessoires de tout genre, si voulus,
si spéciaux, si personnels, on peut dire. ., jusqu’à ces ganls que
nous retrouvons, dans le triptyque d’Oultremont, non seulement
aux mains fines et délicates de la sainte Catherine, mais encore
aux lourdes et rudes pattes du bourreau qui, à l’autre extrémité
extérieure, s’apprête à cingler de sa grosse corde nouée la vic-
time auguste1. Tout indique aussi une collaboration de ce genre
avec les orfèvres, les armuriers, les sculpteurs de meubles, les archi-
tectes de son entourage. En revanche et en échange, il devait trouver
chez eux, à sa disposition, des modèles de toute espèce : natures
mortes chez les ouvriers de luxe ; bêtes rares et chevaux de race chez
les grands maîtres de la vénerie et de l’oisellerie, de la ménagerie et
des écuries; modèles humains partout, et jusque dans les corps de
garde des châteaux.
C’est ici le lieu de remarquer les personnages grotesques ou
repoussants, de basse extraction ou d’aspect vil, qui figurent —
en minorité, il est vrai —- dans toutes les scènes du triptyque
d’Oultremont, tel le bourreau que je viens de citer; leur présence
ne concorde-t-elle pas, d’une façon frappante, avec ce passage de van
Mander, parlant de Mostaert : « Chez son petit-fils, écoutète à Haar-
lem, il y a d’abord un assez grand morceau en hauteur, un Ecce
homo. Dans cette œuvre sont introduits plusieurs portraits, exécutés
de mémoire et d’après nature, entre autres un sergent du nom de
Pierre Muys, qui était bien connu dans ce temps-là pour sa figure
grotesque et sa tête couverte d’emplâtres. C’est lui qui tient le
1. Dans les portraits hors de la Belgique, cités par moi dans une notice de la
Chronique des Arts (n° du 4 février 1899, note de la p. 47 : « Trois portraits de la
même main, etc. »), seul le personnage de celui du Louvre est ganté des deux mains
— le pouce de la droite seul à nu — et tout à fait dans la donnée ci-dessus. Ce por-
trait sera reproduit ici pour la première fois, dans la seconde partie de cette étude.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
croire, apparaît comme une sorte d’épreuve de Shakespeare avant la
lettre. Précédant d’une génération Facteur-dramaturge de la cour
d’Elisabeth, ses manières, ses fréquentations, le plaçaient sur un
pied de familiarité, parfois même d’intimilé, avec l’aristocratie de
son temps; l’étendue et la puissance de son esprit cultivé, aussi
bien que les exigences professionnelles do son art, le niellaient à
l'aise — van Mander nous l’a appris — aussi bien avec les petits qu'avec
les grands. Il avait ainsi accès auprès des pourvoyeurs ordinaires
du luxe princier; sans doute, il leur fournit plus d'une fois les
dessins de ces accoutrements, de ces coiffures et chaussures, de
ces livrées et équipements, accessoires de tout genre, si voulus,
si spéciaux, si personnels, on peut dire. ., jusqu’à ces ganls que
nous retrouvons, dans le triptyque d’Oultremont, non seulement
aux mains fines et délicates de la sainte Catherine, mais encore
aux lourdes et rudes pattes du bourreau qui, à l’autre extrémité
extérieure, s’apprête à cingler de sa grosse corde nouée la vic-
time auguste1. Tout indique aussi une collaboration de ce genre
avec les orfèvres, les armuriers, les sculpteurs de meubles, les archi-
tectes de son entourage. En revanche et en échange, il devait trouver
chez eux, à sa disposition, des modèles de toute espèce : natures
mortes chez les ouvriers de luxe ; bêtes rares et chevaux de race chez
les grands maîtres de la vénerie et de l’oisellerie, de la ménagerie et
des écuries; modèles humains partout, et jusque dans les corps de
garde des châteaux.
C’est ici le lieu de remarquer les personnages grotesques ou
repoussants, de basse extraction ou d’aspect vil, qui figurent —
en minorité, il est vrai —- dans toutes les scènes du triptyque
d’Oultremont, tel le bourreau que je viens de citer; leur présence
ne concorde-t-elle pas, d’une façon frappante, avec ce passage de van
Mander, parlant de Mostaert : « Chez son petit-fils, écoutète à Haar-
lem, il y a d’abord un assez grand morceau en hauteur, un Ecce
homo. Dans cette œuvre sont introduits plusieurs portraits, exécutés
de mémoire et d’après nature, entre autres un sergent du nom de
Pierre Muys, qui était bien connu dans ce temps-là pour sa figure
grotesque et sa tête couverte d’emplâtres. C’est lui qui tient le
1. Dans les portraits hors de la Belgique, cités par moi dans une notice de la
Chronique des Arts (n° du 4 février 1899, note de la p. 47 : « Trois portraits de la
même main, etc. »), seul le personnage de celui du Louvre est ganté des deux mains
— le pouce de la droite seul à nu — et tout à fait dans la donnée ci-dessus. Ce por-
trait sera reproduit ici pour la première fois, dans la seconde partie de cette étude.