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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
cuta en 1722, l’année même où la mort d’Antoine Coypel laissa
vacant le poste convoité de premier peintre et fit voir à Le Moine que
son rival, qui se réclamait volontiers de maîtres comme Rubens et
Véronèse1, pouvait, à l’occasion, profiter de leurs enseignements. En
effet, l’énergie et la noblesse de style dont de Troy fait preuve dans
cet ouvrage considérable, qui peut aller de pair avec son Premier
Chapitre du Saint-Esprit, justifient l’estime que ne lui marchandait
pas Rigaud, et, mieux que les portraits de son père., lui vaudraient
d’être mis en parallèle avec van Dyck. L’exécution par Le Moine du
plafond du chœur de Saint-Thomas-d’Aquin, jadis maison de novi-
ciat des Jacobins, fut la réponse à ce cartel, et la lutte pour la maî-
trise commença entre les deux hommes.
Le concours royal de 1727, qu’il ait été inspiré par les amis de
Le Moine ou par les partisans de de Troy, eut pour résultat de les
placer en antagonisme direct. Il paraît qu’on s’attendait au triomphe
de Le Moine et à un triomphe assez décidé pour qu’il ne subsistât
dans l'esprit public aucun doute que Le Moine seul ne fût digne
d’hériter des honneurs conférés, après la mort de Coypel, au vieux
Louis de Boullongne. La compétition devait donc être décisive, et Le
Moine jouissait d’une telle popularité qu’il l’aurait sans doute
emporté, si de Troy n’eût exercé ses talents dans l’intrigue2. « La
faveur vint à son secours et lui fit (malgré la médiocrité de son
tableau), partager le prix avec François Le Moine 3. »
Au musée de Nancy, non loin de La Continence de Scipion, par
Le Moine, on voit maintenant l’œuvre rivale, Le Repos de Diane, par
Jean-François de Troy, et quand nous regardons aujourd’hui ces
deux ouvrages, il semble difficile de réaliser toute l’âpreté des
furieux débats qui s’engagèrent au sujet de leurs mérites respectifs.
Le de Troy est d'un coloris plein de grâce, mais le dessin est négligé,
et l’ensemble d'une exécution sans intérêt; au contraire, l’œuvre
de Le Moine, qu'on disait dépourvu de la célérité de son rival, nous
retient par certains mérites, minces, il est vrai, mais plaisants, grâce
1. Caflîeri, Supplément à la vie, elc. — Mém. inécl., t. II, p. 281.
2. De Troy peignit cette année sa Suzanne au bain et sa Bethsabcc au bain
(musée de l'Ermitage), gravé par Laurent Cars. Il les répéta en 1742, à Rome,
pour La Live de Jully, pour qui il exécutait en même temps Loth et scs filles.
Comme ce dernier tableau est aussi à l’Ermitage, il est probable que les deux
autres viennent de la même collection, auquel cas ce seraient des répliques
peintes à Rome.
3. D’Argenville, Vies des peintres, t. IV, p. 367.— Mém. inéd., t. II, p. 264 et 4M.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
cuta en 1722, l’année même où la mort d’Antoine Coypel laissa
vacant le poste convoité de premier peintre et fit voir à Le Moine que
son rival, qui se réclamait volontiers de maîtres comme Rubens et
Véronèse1, pouvait, à l’occasion, profiter de leurs enseignements. En
effet, l’énergie et la noblesse de style dont de Troy fait preuve dans
cet ouvrage considérable, qui peut aller de pair avec son Premier
Chapitre du Saint-Esprit, justifient l’estime que ne lui marchandait
pas Rigaud, et, mieux que les portraits de son père., lui vaudraient
d’être mis en parallèle avec van Dyck. L’exécution par Le Moine du
plafond du chœur de Saint-Thomas-d’Aquin, jadis maison de novi-
ciat des Jacobins, fut la réponse à ce cartel, et la lutte pour la maî-
trise commença entre les deux hommes.
Le concours royal de 1727, qu’il ait été inspiré par les amis de
Le Moine ou par les partisans de de Troy, eut pour résultat de les
placer en antagonisme direct. Il paraît qu’on s’attendait au triomphe
de Le Moine et à un triomphe assez décidé pour qu’il ne subsistât
dans l'esprit public aucun doute que Le Moine seul ne fût digne
d’hériter des honneurs conférés, après la mort de Coypel, au vieux
Louis de Boullongne. La compétition devait donc être décisive, et Le
Moine jouissait d’une telle popularité qu’il l’aurait sans doute
emporté, si de Troy n’eût exercé ses talents dans l’intrigue2. « La
faveur vint à son secours et lui fit (malgré la médiocrité de son
tableau), partager le prix avec François Le Moine 3. »
Au musée de Nancy, non loin de La Continence de Scipion, par
Le Moine, on voit maintenant l’œuvre rivale, Le Repos de Diane, par
Jean-François de Troy, et quand nous regardons aujourd’hui ces
deux ouvrages, il semble difficile de réaliser toute l’âpreté des
furieux débats qui s’engagèrent au sujet de leurs mérites respectifs.
Le de Troy est d'un coloris plein de grâce, mais le dessin est négligé,
et l’ensemble d'une exécution sans intérêt; au contraire, l’œuvre
de Le Moine, qu'on disait dépourvu de la célérité de son rival, nous
retient par certains mérites, minces, il est vrai, mais plaisants, grâce
1. Caflîeri, Supplément à la vie, elc. — Mém. inécl., t. II, p. 281.
2. De Troy peignit cette année sa Suzanne au bain et sa Bethsabcc au bain
(musée de l'Ermitage), gravé par Laurent Cars. Il les répéta en 1742, à Rome,
pour La Live de Jully, pour qui il exécutait en même temps Loth et scs filles.
Comme ce dernier tableau est aussi à l’Ermitage, il est probable que les deux
autres viennent de la même collection, auquel cas ce seraient des répliques
peintes à Rome.
3. D’Argenville, Vies des peintres, t. IV, p. 367.— Mém. inéd., t. II, p. 264 et 4M.