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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 21.1899

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Nr. 4
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 3
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https://doi.org/10.11588/diglit.24685#0327

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310

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

et de sa paupière abaissée tombe un regard indécis, humide à peine
d’ignorante songerie, chargé d’une tiédeur discrète où l’âme dort.
Et, plutôt que la sienne, c’est bien notre mélancolie qui déborde,
toute notre compassion inexprimable qui s’anime et qui promène
en les berçant les premières reliques d’un culte indéfini.

Ainsi l’a voulue le peintre, continuateur inspire du touchant
roman que le bon Protée racontait avec des larmes. 11 a mis là tous
les tressaillements de son âme. Or, il n’est pas d’œuvre moderne
qui témoigne d’un tact plus exquis en une rencontre de sentiments
mieux concertée. La pitié de l'idée s’enveloppe, en effet, d’atours
matériels qui lui font une adorable livrée de deuil ; il semble que
des parfums musqués se mêlent à de sainls aromates, que, sur la
gracieuse figurine, toutes ces étoffes ouvragées, ces robes aux menus
plis, ces bijoux, rendent plus navrante l’énigme d’un si tendre visage
sans flamme. Comme d’une chrysalide lustrée, ocellée do gaufrurcs,
le col virginal jaillit du corselet. La tête blonde, inclinée, savam-
ment coiffée de tresses enfantines, paraît lourde d’un rêve hésitant;
mais, l’allure amortie de la paresseuse femmelette constrastc amère-
ment avec le navrant débris qu elle emporte. Lt nous crions miséri-
corde ; car, la tète d’Orphée, disposée sur la lyre magnifique, découpe
entre les bras de l’étrangère ses traits délicats, apaisés, détendus, sa
bouche d’Art et d’Amour pâlie, fermée sur le dernier soupir d’une
agonie divine...

Telle, au musée des Offices., la tète tranchée de Méduse expirant
sa dernière baleine. Mais pour le peintre., pour nous comme pour
la tradition, Orphée est la première et la grande victime poétique,
l’apôtre inspiré qui mua la face du monde. Ce qui meurt avec lui,
c'est l’art civilisateur, la miraculeuse musique.

Une mystérieuse concordance, cependant, fait sympathiser la
nature à ce drame silencieux, à ce martyre consommé. Un demi-jour
opalin éclaire les confins du monde où l’odyssée du barde a trouvé
son terme ; un sommeil subtil, une stagnation de malaria engour-
dissent les choses ; on entend seulement une petite flûte, un refrain
ironique, modulé par des bergers, là-bas, sur une roche de l’Lbre.
La Thrace est si loin d’Hellas !

Paysagiste d’illumination, Gustave Moreau ouvrit, en effet, à la
Fable, des horizons dignes d’elle. Il les voulait parfois, comme
elle, hors de mesure, artificiels, distillant l’effroi, et —lui qui procla-
mait Corot le plus grand maître du siècle — n’a que bien rarement
 
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