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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sérié ou de sensualité dans les portraits d’acteurs. Si bien qu’on
pourrait croire que l’art du portrait^ cette éloquente affirmation d’un
type, cette notation des plus subtiles nuances de l’expression, si
variées que parmi tant de millions d’êtres humains il n’en est pas
deux qui se ressemblent, était demeuré étranger aux peintres de
l’Extrême-Orient ; les plus sévères ajoutaient même qu’ils étaient
impuissants à rendre cela et que là n’était point leur domaine.
Et voici qu’une œuvre nous arrive, dévoilant un horizon
insoupçonné, autorisant toutes les espérances, et confirmant ce que
quelques-uns avaient supposé, l’existence d’œuvres peintes ou
sculptées dont aucun spécimen bien authentique n’était encore par-
venu jusqu’à nous. Et par combien de siècles d’art antérieurs une
œuvre aussi savante a-t-elle pu être préparée? Car il ne peut être
question ici d’un art à sa naissance, pas plus que devant une statue
des premières dynasties memphites en Egypte. Devons-nous déses-
pérer que les événements ou les découvertes percent le secret
de ces énigmes? Faut-il redouter, au contraire, que les destruc-
tions par les révolutions et les incendies aient anéanti, en Chine,
les œuvres primitives où les Japonais avaient certainement dû
puiser les premières notions de leurs arts? Et pourra-t-on jamais
rétablir les chaînons d’une filiation si évidente?
Le kakémono de la collection Gillot représente un prêtre. La
présentation est d’une admirable simplicité. Vêtu d’une robe havane,
dans un fauteuil dont le haut dossier est recouvert d’une ample
étoffe d’un gris froid qui y est jetée. Sur ses genoux est étendu un
tapis à décoration florale de boutons de lotus gouachés en blanc.
Seuls deux objets y sont posés : une cassolette portative d’encens,
de bronze doré, lotiforme, au long manche recourbé, brillant d’un
éclat doux d’orfèvrerie et qu’on nomme yegoro, — et la boîte aux
livres bouddhiques, enveloppée d’une étoffe de soie nouée. Le tout
est d’une harmonie de ton d’une grande discrétion.
La figure pleine, dessinée d’un trait hardi et sûr, éclairée par
deux yeux vifs et pénétrants, est d’une grande bonhomie. Les
mains un peu grasses, des mains d’homme d’Eglise, sont d’un des-
sin précis, les ongles indiqués minutieusement jusqu’à la couronne.
Le fond de soie, que le temps a brûlé par places, laisse apparaître
en certains endroits l’épaisse feuille de papier sur laquelle il fut
contre-collé. Seules les parties gouachées, telles que les étoffes, les
accessoires, les chairs, ont maintenu et conservé la soie.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sérié ou de sensualité dans les portraits d’acteurs. Si bien qu’on
pourrait croire que l’art du portrait^ cette éloquente affirmation d’un
type, cette notation des plus subtiles nuances de l’expression, si
variées que parmi tant de millions d’êtres humains il n’en est pas
deux qui se ressemblent, était demeuré étranger aux peintres de
l’Extrême-Orient ; les plus sévères ajoutaient même qu’ils étaient
impuissants à rendre cela et que là n’était point leur domaine.
Et voici qu’une œuvre nous arrive, dévoilant un horizon
insoupçonné, autorisant toutes les espérances, et confirmant ce que
quelques-uns avaient supposé, l’existence d’œuvres peintes ou
sculptées dont aucun spécimen bien authentique n’était encore par-
venu jusqu’à nous. Et par combien de siècles d’art antérieurs une
œuvre aussi savante a-t-elle pu être préparée? Car il ne peut être
question ici d’un art à sa naissance, pas plus que devant une statue
des premières dynasties memphites en Egypte. Devons-nous déses-
pérer que les événements ou les découvertes percent le secret
de ces énigmes? Faut-il redouter, au contraire, que les destruc-
tions par les révolutions et les incendies aient anéanti, en Chine,
les œuvres primitives où les Japonais avaient certainement dû
puiser les premières notions de leurs arts? Et pourra-t-on jamais
rétablir les chaînons d’une filiation si évidente?
Le kakémono de la collection Gillot représente un prêtre. La
présentation est d’une admirable simplicité. Vêtu d’une robe havane,
dans un fauteuil dont le haut dossier est recouvert d’une ample
étoffe d’un gris froid qui y est jetée. Sur ses genoux est étendu un
tapis à décoration florale de boutons de lotus gouachés en blanc.
Seuls deux objets y sont posés : une cassolette portative d’encens,
de bronze doré, lotiforme, au long manche recourbé, brillant d’un
éclat doux d’orfèvrerie et qu’on nomme yegoro, — et la boîte aux
livres bouddhiques, enveloppée d’une étoffe de soie nouée. Le tout
est d’une harmonie de ton d’une grande discrétion.
La figure pleine, dessinée d’un trait hardi et sûr, éclairée par
deux yeux vifs et pénétrants, est d’une grande bonhomie. Les
mains un peu grasses, des mains d’homme d’Eglise, sont d’un des-
sin précis, les ongles indiqués minutieusement jusqu’à la couronne.
Le fond de soie, que le temps a brûlé par places, laisse apparaître
en certains endroits l’épaisse feuille de papier sur laquelle il fut
contre-collé. Seules les parties gouachées, telles que les étoffes, les
accessoires, les chairs, ont maintenu et conservé la soie.