LE MARQUIS DE CHENNEYIÈRES
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extrême du peintre y donne toujours à ses sympathies ou à ses
antipathies, à sa reconnaissance ou à ses rancunes, un accent et un
entrain extraordinaires ; quelques-uns de ces portraits sont dignes
des grands écrivains du xvne et du xvme siècle.
M. de Chennevières mourut en travaillant. Il y a quelques mois,
il envoyait de Bellesme, à ses amis, une étude sur le statuaire nor-
mand Le Harivel-Durocher. A Paris, dans ces derniers jours, il
achevait, pour Y Artiste, la publication commencée d’une minutieuse
et instructive étude sur les dessins de sa chère collection.
L’étude des innombrables idées que M. de Chennevières, dans sa
longue passion pour l’art national, idées critiques, idées pratiques,
a répandues et semées, soit par ses publications, soit par son action
administrative, exigerait des développements qui nous sont interdits.
Il ne se targuait point, dans sa modeslie, d’en être toujours l’inven-
teur ; il en reportait fort souvent l’honneur à Colbert, au comte
d’Àngiviller, à Emeric David, à de Caumont, à Léon de Laborde,
croyant qu’il y a plus de profit et de mérite à bien connaître ses
devanciers, à reprendre ou développer leurs fondations et leurs
pensées, qu’à prétendre innover, à tout coup, sur un champ déjà
vieux et fatigué par de longues expériences. Le temps ne lui fut pas
laissé de réaliser tous ses projets ; il les a suffisamment fait connaître
pour que l’ensemble, fortement coordonné, apparaisse comme une
des conceptions les mieux appropriées aux qualités et aux traditions
du génie français, qui aient pu se former dans l’esprit d’un ami des
arts, devenu chef d’un grand service public, ayant pour devoir de
raisonner en homme d’Etat. Quelques-unes de ses entreprises ont
échoué pour des causes extérieures ; quelques autres ont été négligées
ou abandonnées ; la plupart prospèrent et lui survivront, car l’esprit
dont elles procèdent, son esprit, aujourd’hui, llotte partout. Ainsi
que l’a dit, devant son cercueil, en termes justement et fortement
émus, M. Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts : « M. de Chenne-
vières, loin du pouvoir, disposait encore d’une influence que sa
modestie ne soupçonnait pas. Ceux qui lui succédèrent tour à tour
sont là pour attester que son intervention, dont il lui plaisait d’être
avare, était demeurée toute puissante. Chacun d’entre eux,
d’ailleurs, quelle que fût sa personnalité, tenait à honneur de
s’inspirer souvent de l’exemple do M. de Chennevières et de conti-
nuer ses traditions... Le souvenir de certains hommes est comme
une autre conscience, plus libre et plus haute, qu’on interroge
dans les heures de crise ».
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extrême du peintre y donne toujours à ses sympathies ou à ses
antipathies, à sa reconnaissance ou à ses rancunes, un accent et un
entrain extraordinaires ; quelques-uns de ces portraits sont dignes
des grands écrivains du xvne et du xvme siècle.
M. de Chennevières mourut en travaillant. Il y a quelques mois,
il envoyait de Bellesme, à ses amis, une étude sur le statuaire nor-
mand Le Harivel-Durocher. A Paris, dans ces derniers jours, il
achevait, pour Y Artiste, la publication commencée d’une minutieuse
et instructive étude sur les dessins de sa chère collection.
L’étude des innombrables idées que M. de Chennevières, dans sa
longue passion pour l’art national, idées critiques, idées pratiques,
a répandues et semées, soit par ses publications, soit par son action
administrative, exigerait des développements qui nous sont interdits.
Il ne se targuait point, dans sa modeslie, d’en être toujours l’inven-
teur ; il en reportait fort souvent l’honneur à Colbert, au comte
d’Àngiviller, à Emeric David, à de Caumont, à Léon de Laborde,
croyant qu’il y a plus de profit et de mérite à bien connaître ses
devanciers, à reprendre ou développer leurs fondations et leurs
pensées, qu’à prétendre innover, à tout coup, sur un champ déjà
vieux et fatigué par de longues expériences. Le temps ne lui fut pas
laissé de réaliser tous ses projets ; il les a suffisamment fait connaître
pour que l’ensemble, fortement coordonné, apparaisse comme une
des conceptions les mieux appropriées aux qualités et aux traditions
du génie français, qui aient pu se former dans l’esprit d’un ami des
arts, devenu chef d’un grand service public, ayant pour devoir de
raisonner en homme d’Etat. Quelques-unes de ses entreprises ont
échoué pour des causes extérieures ; quelques autres ont été négligées
ou abandonnées ; la plupart prospèrent et lui survivront, car l’esprit
dont elles procèdent, son esprit, aujourd’hui, llotte partout. Ainsi
que l’a dit, devant son cercueil, en termes justement et fortement
émus, M. Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts : « M. de Chenne-
vières, loin du pouvoir, disposait encore d’une influence que sa
modestie ne soupçonnait pas. Ceux qui lui succédèrent tour à tour
sont là pour attester que son intervention, dont il lui plaisait d’être
avare, était demeurée toute puissante. Chacun d’entre eux,
d’ailleurs, quelle que fût sa personnalité, tenait à honneur de
s’inspirer souvent de l’exemple do M. de Chennevières et de conti-
nuer ses traditions... Le souvenir de certains hommes est comme
une autre conscience, plus libre et plus haute, qu’on interroge
dans les heures de crise ».