436
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
par des végétaux à lobes pointus ; puis; à cette règle, en ajouter une
seconde, consistant à découper profondément les feuilles choisies en
accompagnant certaines d’entre elles du fruit de la plante, telle fut
l’œuvre des artistes de la troisième période gothique. Cette manière
de traiter les végétaux n’était pas, comme dit Viollet-le-Duc, du
réalismel, mais, bien au contraire, un système d’interprétation
jusqu’alors inconnu, inférieur toutefois à celui du xne siècle. Le pre-
mier porta la sculpture gothique à son plus haut degré de perfec-
tion; le second en marqua la décadence. La décadence? Non. Ce mot
doit être écarté, car, en baissant à l’horizon, l’art de nos aïeux eut
un magnifique coucher., qui resplendit encore sur les portails de nos
églises et de nos cathédrales. Les feuilles choisies par les artistes
du xve siècle sont : le houx, le houblon, le chardon, le chou frisé
ou la chicorée, et les algues marines. Ils gardent la vigne et le
chêne, plantes nationales, mais ils les découpent aussi, et, proba-
blement pour les distinguer du chardon, avec lequel on pourrait les
confondre par suite de ce découpage, ils mettent le raisin avec la
vigne, le gland avec le chêne. Si les chapiteaux du xve siècle n’ont
ni la grandeur, ni la richesse de ceux des siècles antérieurs; s’ils ne
sont, le plus souvent, que de simples couronnes de feuillage., il faut
cependant reconnaître que, parmi ces couronnes, il en existe de fort
belles. Quant aux rinceaux, aux frises et aux roses de cette période,
ce sont pour la plupart des chefs-d’œuvre. Exclue, en quelque sorte,
de l’intérieur des édifices, la sculpture s’est réfugiée sur les portails,
et elle se plaît à les orner avec un art infini. Nous y voyons des
rinceaux de chardon, de vigne, de chêne, tellement fouillés que l’on
n’aperçoit pas par quel fil ces bandes de feuillages peuvent tenir à la
pierre. Parmi les chapiteaux remarquables du xvc siècle, on peut
citer ceux de la nef de Meaux. Dans les églises de la région pari-
sienne, ils se présentent en assez grand nombre : à Montreuil-sous-
Bois, par exemple, on voit dans la nef., qui est du xve siècle, d’un
côté un chapiteau de chêne, et de l’autre, lui faisant face, un chapi-
teau de vigne avec raisin et colimaçons. Ces deux chapiteaux ne
seraient pas déplacés dans une cathédrale. À ClamarQ on trouve le
chardon avec sa fleur, et à Yitry, la feuille de citrouille avec son
fruit. Mais ce qui fera toujours de la sculpture du xve siècle un art
inoubliable, c’est l’ornementation des portails. Le grand portail de
Rouen, construit dans les premières années du xvie siècle mais tout
à fait dans le goût du xve, le portail sud de Beauvais, les portails
1. Viollet-le-Duc, Dict. rais, de l'Arehit. franc., au mot Flore, t. V, p. 521.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
par des végétaux à lobes pointus ; puis; à cette règle, en ajouter une
seconde, consistant à découper profondément les feuilles choisies en
accompagnant certaines d’entre elles du fruit de la plante, telle fut
l’œuvre des artistes de la troisième période gothique. Cette manière
de traiter les végétaux n’était pas, comme dit Viollet-le-Duc, du
réalismel, mais, bien au contraire, un système d’interprétation
jusqu’alors inconnu, inférieur toutefois à celui du xne siècle. Le pre-
mier porta la sculpture gothique à son plus haut degré de perfec-
tion; le second en marqua la décadence. La décadence? Non. Ce mot
doit être écarté, car, en baissant à l’horizon, l’art de nos aïeux eut
un magnifique coucher., qui resplendit encore sur les portails de nos
églises et de nos cathédrales. Les feuilles choisies par les artistes
du xve siècle sont : le houx, le houblon, le chardon, le chou frisé
ou la chicorée, et les algues marines. Ils gardent la vigne et le
chêne, plantes nationales, mais ils les découpent aussi, et, proba-
blement pour les distinguer du chardon, avec lequel on pourrait les
confondre par suite de ce découpage, ils mettent le raisin avec la
vigne, le gland avec le chêne. Si les chapiteaux du xve siècle n’ont
ni la grandeur, ni la richesse de ceux des siècles antérieurs; s’ils ne
sont, le plus souvent, que de simples couronnes de feuillage., il faut
cependant reconnaître que, parmi ces couronnes, il en existe de fort
belles. Quant aux rinceaux, aux frises et aux roses de cette période,
ce sont pour la plupart des chefs-d’œuvre. Exclue, en quelque sorte,
de l’intérieur des édifices, la sculpture s’est réfugiée sur les portails,
et elle se plaît à les orner avec un art infini. Nous y voyons des
rinceaux de chardon, de vigne, de chêne, tellement fouillés que l’on
n’aperçoit pas par quel fil ces bandes de feuillages peuvent tenir à la
pierre. Parmi les chapiteaux remarquables du xvc siècle, on peut
citer ceux de la nef de Meaux. Dans les églises de la région pari-
sienne, ils se présentent en assez grand nombre : à Montreuil-sous-
Bois, par exemple, on voit dans la nef., qui est du xve siècle, d’un
côté un chapiteau de chêne, et de l’autre, lui faisant face, un chapi-
teau de vigne avec raisin et colimaçons. Ces deux chapiteaux ne
seraient pas déplacés dans une cathédrale. À ClamarQ on trouve le
chardon avec sa fleur, et à Yitry, la feuille de citrouille avec son
fruit. Mais ce qui fera toujours de la sculpture du xve siècle un art
inoubliable, c’est l’ornementation des portails. Le grand portail de
Rouen, construit dans les premières années du xvie siècle mais tout
à fait dans le goût du xve, le portail sud de Beauvais, les portails
1. Viollet-le-Duc, Dict. rais, de l'Arehit. franc., au mot Flore, t. V, p. 521.