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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
fraîcheur; personne encore ; une brume laiteuse ouate les arbrisseaux
et les maisons côtières assoupies ; deux goélands s’enlevant au-dessus
de la mer sont toute l’animation de cette anse déserte; le flot, avec
une petite volute déroulée, s’étale sur la grève ; ce faible et monotone
clapotis d’eau meurt dans l’air muet. L’harmonie du site et de
l’heure a été sentie par un bon artiste.
Et tout à côté je demande à placer un Breton véritable, M. Jean
Le Fournis, « né à Plestin-les-Grèves (Côtes-du-Nord) »,pour ses
Deux Phares. La sensation est franche; je la crois neuve ; elle l’est
du moins pour moi. La dune et l’estran pâles, la plage large et plate
qui miroite, humectée; le ciel blafard, le grand vent ; c’est tout, avec
les deux blancs veilleurs qui dardent leurs clartés sitôt que celles
du jour défaillent. Voilà tout de même quelques notes ajoutées au
grand registre des beautés maritimes ouvert par nos maîtres de
Hollande. Un phare, surtout pourvu de l’éclair électrique, allumé
sur une côte mystérieuse et sauvage, où il semble qu’on attende les
Sirènes, est un spectacle d’une telle beauté, et par ce qu’il évoque et
par la simplicité des tons et des lignes mêmes, que je ne puis
l’apercevoir, tout d’un coup, au détour d’une promenade, sans une
émotion violente et presque religieuse.
Où la sensation aussi s’est perfectionnée et modernisée, c’est
dans l’observation des eaux, soit en nappe, soit en chute ; comparez
aux cascades, du reste sublimes, de Ruysdaël, les rapides bouillon-
nants de M. Thaulow, ou le rideau liquide que M. Besnard, l’an
passé, tâcha de rendre, tombant à l’orée d’une grotte, avec le soleil
au travers. Nous avons apporté une grande attention à la décompo-
sition de la lumière; nous avons poussé fort avant l’étude des reflets ;
aussi s’est-on adonné à la peinture des rides et des plis de l'eau, où
les rayons se réfractent. Au Salon que je parcours, combien ai-je vu
de virtuoses, tels que M. Antoine Calbet, dans sa Baigneuse, ou
M. Paul Chabas dans ses Joyeux ébats, ou M. Albert Laurens, dans
Vénus accueillie par les Heures, etc., qui se sont plu à faire tourbil-
lonner des remous de torrents, à crisper des surfaces d’étangs, à
froncer des ondes en immergeant parfois à mi-corps des femmes
nues, dont ainsi les contours, sous l’eau, frissonnent et vacillent!
Il faut noter ce penchant. Nos contemporains confessent ici leur
nature d’âme. Impressionnistes, luministes, tachistes, prompts à
saisir l'instantané et à s’y absorber, autant qu’ils sont — nous
l’avons remarqué — éloignés de l’application tenace aux contours,
aux lignes, reconnaissez là l’affinement des organes sensitifs, l’im-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
fraîcheur; personne encore ; une brume laiteuse ouate les arbrisseaux
et les maisons côtières assoupies ; deux goélands s’enlevant au-dessus
de la mer sont toute l’animation de cette anse déserte; le flot, avec
une petite volute déroulée, s’étale sur la grève ; ce faible et monotone
clapotis d’eau meurt dans l’air muet. L’harmonie du site et de
l’heure a été sentie par un bon artiste.
Et tout à côté je demande à placer un Breton véritable, M. Jean
Le Fournis, « né à Plestin-les-Grèves (Côtes-du-Nord) »,pour ses
Deux Phares. La sensation est franche; je la crois neuve ; elle l’est
du moins pour moi. La dune et l’estran pâles, la plage large et plate
qui miroite, humectée; le ciel blafard, le grand vent ; c’est tout, avec
les deux blancs veilleurs qui dardent leurs clartés sitôt que celles
du jour défaillent. Voilà tout de même quelques notes ajoutées au
grand registre des beautés maritimes ouvert par nos maîtres de
Hollande. Un phare, surtout pourvu de l’éclair électrique, allumé
sur une côte mystérieuse et sauvage, où il semble qu’on attende les
Sirènes, est un spectacle d’une telle beauté, et par ce qu’il évoque et
par la simplicité des tons et des lignes mêmes, que je ne puis
l’apercevoir, tout d’un coup, au détour d’une promenade, sans une
émotion violente et presque religieuse.
Où la sensation aussi s’est perfectionnée et modernisée, c’est
dans l’observation des eaux, soit en nappe, soit en chute ; comparez
aux cascades, du reste sublimes, de Ruysdaël, les rapides bouillon-
nants de M. Thaulow, ou le rideau liquide que M. Besnard, l’an
passé, tâcha de rendre, tombant à l’orée d’une grotte, avec le soleil
au travers. Nous avons apporté une grande attention à la décompo-
sition de la lumière; nous avons poussé fort avant l’étude des reflets ;
aussi s’est-on adonné à la peinture des rides et des plis de l'eau, où
les rayons se réfractent. Au Salon que je parcours, combien ai-je vu
de virtuoses, tels que M. Antoine Calbet, dans sa Baigneuse, ou
M. Paul Chabas dans ses Joyeux ébats, ou M. Albert Laurens, dans
Vénus accueillie par les Heures, etc., qui se sont plu à faire tourbil-
lonner des remous de torrents, à crisper des surfaces d’étangs, à
froncer des ondes en immergeant parfois à mi-corps des femmes
nues, dont ainsi les contours, sous l’eau, frissonnent et vacillent!
Il faut noter ce penchant. Nos contemporains confessent ici leur
nature d’âme. Impressionnistes, luministes, tachistes, prompts à
saisir l'instantané et à s’y absorber, autant qu’ils sont — nous
l’avons remarqué — éloignés de l’application tenace aux contours,
aux lignes, reconnaissez là l’affinement des organes sensitifs, l’im-