L’ÉVOLUTION I)E LA SCULPTURE GRECQUE
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Que de problèmes de toute sorte, qui jamais n’avaient été posés,
ont été étudiés, peu à peu éclaircis et définitivement résolus par ces
familles de laborieux ouvriers dont les noms et la vie nous resteront
toujours inconnus! N’est-ce pas eux encore qui, ayant à décorer les
temples des dieux, ont dû, par des épreuves répétées, chercher dans
quelles conditions, délicates à fixer, cet art tout concret qu'est la
sculpture peut s’associer heureusement à cet art tout abstrait qu’est
l’architecture, découvrir les rapports cachés qui règlent l'alliance des
figures animées et en mouvement avec les lignes immobiles de l’édi-
fice , inventer des sujets aptes à remplir le cadre si gênant du fronton
ou à se dérouler continûment sur le long bandeau étroit de la frise,
et enfin calculer la saillie des diverses parties, selon leur relation
avec l’ordonnance générale, et y appliquer les lois propres à chaque
variété de la statuaire, depuis la ronde-bosse, qui semble n’être
qu’une exacte imitation de la nature, jusqu’à la forme savamment
conventionnelle du bas-relief?
Il n'est pas besoin, je crois, de m’attarder davantage à rappeler
le labeur si méritant des sculpteurs primitifs et archaïques de la
Grèce. Celles de leurs œuvres qui ont survécu jusqu’à nous, recueil-
lies comme des épaves précieuses, excitent pourtant quelquefois, dans
les musées d’antiques ou dans les musées de moulages, l’étonne-
ment et la raillerie des visiteurs. Il est vrai qu’elles sont la plupart
bien raides et lourdes et imparfaites ; aussi ne les présente-t-on pas
comme des modèles de beauté, mais comme des témoins du grand
et long effort qui fut nécessaire pour atteindre la beauté. Il faut à
un génie d’artiste, afin qu’il porte tous ses fruits, un terrain bien
préparé; car le génie lui-même ne peut rien sans la science des pro-
cédés, qui est l’œuvre du temps. Donc, pendant plusieurs siècles, des
générations de sculpteurs ont travaillé sans relâche, avec le plus ad-
mirable esprit de suite, à inventer et perfectionner les procédés de
l'art, à déterminer une série de sujets et de types qui allaient bientôt
devenir classiques, à résoudre les problèmes essentiels de la statuaire,
bref, à grossir toujours leur commun patrimoine d’expérience pra-
tique, de savoir et d'idées; -— et c’est de ce capital accumulé
qu'hérita Phidias.
II
Phidias — si l’on n’avait pas certaines raisons de croire que tout
de même il a dû exister -— pourrait presque, au premier abord, être
considéré comme un personnage aussi mythique, mais aussi repre-
XXI.
P LIU O D E.
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Que de problèmes de toute sorte, qui jamais n’avaient été posés,
ont été étudiés, peu à peu éclaircis et définitivement résolus par ces
familles de laborieux ouvriers dont les noms et la vie nous resteront
toujours inconnus! N’est-ce pas eux encore qui, ayant à décorer les
temples des dieux, ont dû, par des épreuves répétées, chercher dans
quelles conditions, délicates à fixer, cet art tout concret qu'est la
sculpture peut s’associer heureusement à cet art tout abstrait qu’est
l’architecture, découvrir les rapports cachés qui règlent l'alliance des
figures animées et en mouvement avec les lignes immobiles de l’édi-
fice , inventer des sujets aptes à remplir le cadre si gênant du fronton
ou à se dérouler continûment sur le long bandeau étroit de la frise,
et enfin calculer la saillie des diverses parties, selon leur relation
avec l’ordonnance générale, et y appliquer les lois propres à chaque
variété de la statuaire, depuis la ronde-bosse, qui semble n’être
qu’une exacte imitation de la nature, jusqu’à la forme savamment
conventionnelle du bas-relief?
Il n'est pas besoin, je crois, de m’attarder davantage à rappeler
le labeur si méritant des sculpteurs primitifs et archaïques de la
Grèce. Celles de leurs œuvres qui ont survécu jusqu’à nous, recueil-
lies comme des épaves précieuses, excitent pourtant quelquefois, dans
les musées d’antiques ou dans les musées de moulages, l’étonne-
ment et la raillerie des visiteurs. Il est vrai qu’elles sont la plupart
bien raides et lourdes et imparfaites ; aussi ne les présente-t-on pas
comme des modèles de beauté, mais comme des témoins du grand
et long effort qui fut nécessaire pour atteindre la beauté. Il faut à
un génie d’artiste, afin qu’il porte tous ses fruits, un terrain bien
préparé; car le génie lui-même ne peut rien sans la science des pro-
cédés, qui est l’œuvre du temps. Donc, pendant plusieurs siècles, des
générations de sculpteurs ont travaillé sans relâche, avec le plus ad-
mirable esprit de suite, à inventer et perfectionner les procédés de
l'art, à déterminer une série de sujets et de types qui allaient bientôt
devenir classiques, à résoudre les problèmes essentiels de la statuaire,
bref, à grossir toujours leur commun patrimoine d’expérience pra-
tique, de savoir et d'idées; -— et c’est de ce capital accumulé
qu'hérita Phidias.
II
Phidias — si l’on n’avait pas certaines raisons de croire que tout
de même il a dû exister -— pourrait presque, au premier abord, être
considéré comme un personnage aussi mythique, mais aussi repre-
XXI.
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