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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
réfugiait souvent et où reposeront ses restes, Charles-Philippe de
Chennevières, gentilhomme, provincial, normand, ne renia jamais
ses origines. Malgré l’aisance aimable avec laquelle il se mouvait
dans les milieux officiels et mondains, ce ne fut qu’un Parisien
d’occasion et de nécessité,, par intermittences, restant, de cœur,
attaché au terroir natal, à ses fraîches verdures et ses libres espaces.
De ses aïeux et de sa forte race, il garda toujours et voulut garder le
respect pour le passé, la courtoisie des manières, la dignité de la
vie, la bonne humeur et le jugement libre, l’initiative hardie et
militante, autant de souplesse avisée et de sens pratique dans
l’exécution que de rapidité et de ténacité dans la résolution. Orphelin
dès l’enfance, et presque son maître au sortir du collège, la liberté
dont il jouit si tôt développa chez lui, sans obstacles, au bon
moment, l’activité originale d’une curiosité déjà fort ouverte dans
son cercle régional de lettrés et d’antiquaires, en même temps
qu’une indépendance d’allures et de caractère dont il ne se départit
jamais. A vingt et un ans, en compagnie d’un ami de son âge, Ernest
Lafontan envoyé dans le Midi par les médecins, il avait déjà exploré
une partie de la France, visité l’Italie, reçu à Florence la première
des initiations nécessaires, et il allait bientôt chercher la seconde
dans les Flandres, à Bruges et à Anvers. Pour ne point s’éloigner de
cet ami qui allait mourir à Montpellier, il avait pris ses inscriptions
de droit à la Faculté d’Aix ; il y resta trois ans (1842-1845).
La vieille cité parlementaire, l’étape hospitalière, durant trois
siècles, des artistes français et flamands, à leur voyage d’Italie,
gardait encore, sous les lambris de ses vastes hôtels, bon nombre
des collections qui l’avaient naguère rendue célèbre. Quelques con-
naisseurs y maintenaient aussi les traditions anciennes d’une érudi-
tion sagace et précise. Lejeune étudiant examina avec soin tout ce
qui restait d’œuvres d’art dans la ville du roi René, de Peiresc, de
Méjanes, de Granet, et dans toute la contrée environnante, où le
promenaient son amour du soleil et son humeur buissonnière ; il
s’accoutuma, en même temps, à contrôler méthodiquement le juge-
ment de ses yeux par les renseignements d’archives ; il commença
à collectionner les dessins, chiffons de papier alors peu recherchés
et qu’on sauvait à bas prix ; il se mit à recueillir les matériaux
d’une histoire des artistes du cru, grands et petits. Dès lors, parmi
les laborieux du passé comme parmi ceux du présent, il estimait
qu’il ne faut mépriser personne, non plus qu’en une forêt touffue le
promeneur et le botaniste ne dédaignent, pour leur joie et pour leurs
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réfugiait souvent et où reposeront ses restes, Charles-Philippe de
Chennevières, gentilhomme, provincial, normand, ne renia jamais
ses origines. Malgré l’aisance aimable avec laquelle il se mouvait
dans les milieux officiels et mondains, ce ne fut qu’un Parisien
d’occasion et de nécessité,, par intermittences, restant, de cœur,
attaché au terroir natal, à ses fraîches verdures et ses libres espaces.
De ses aïeux et de sa forte race, il garda toujours et voulut garder le
respect pour le passé, la courtoisie des manières, la dignité de la
vie, la bonne humeur et le jugement libre, l’initiative hardie et
militante, autant de souplesse avisée et de sens pratique dans
l’exécution que de rapidité et de ténacité dans la résolution. Orphelin
dès l’enfance, et presque son maître au sortir du collège, la liberté
dont il jouit si tôt développa chez lui, sans obstacles, au bon
moment, l’activité originale d’une curiosité déjà fort ouverte dans
son cercle régional de lettrés et d’antiquaires, en même temps
qu’une indépendance d’allures et de caractère dont il ne se départit
jamais. A vingt et un ans, en compagnie d’un ami de son âge, Ernest
Lafontan envoyé dans le Midi par les médecins, il avait déjà exploré
une partie de la France, visité l’Italie, reçu à Florence la première
des initiations nécessaires, et il allait bientôt chercher la seconde
dans les Flandres, à Bruges et à Anvers. Pour ne point s’éloigner de
cet ami qui allait mourir à Montpellier, il avait pris ses inscriptions
de droit à la Faculté d’Aix ; il y resta trois ans (1842-1845).
La vieille cité parlementaire, l’étape hospitalière, durant trois
siècles, des artistes français et flamands, à leur voyage d’Italie,
gardait encore, sous les lambris de ses vastes hôtels, bon nombre
des collections qui l’avaient naguère rendue célèbre. Quelques con-
naisseurs y maintenaient aussi les traditions anciennes d’une érudi-
tion sagace et précise. Lejeune étudiant examina avec soin tout ce
qui restait d’œuvres d’art dans la ville du roi René, de Peiresc, de
Méjanes, de Granet, et dans toute la contrée environnante, où le
promenaient son amour du soleil et son humeur buissonnière ; il
s’accoutuma, en même temps, à contrôler méthodiquement le juge-
ment de ses yeux par les renseignements d’archives ; il commença
à collectionner les dessins, chiffons de papier alors peu recherchés
et qu’on sauvait à bas prix ; il se mit à recueillir les matériaux
d’une histoire des artistes du cru, grands et petits. Dès lors, parmi
les laborieux du passé comme parmi ceux du présent, il estimait
qu’il ne faut mépriser personne, non plus qu’en une forêt touffue le
promeneur et le botaniste ne dédaignent, pour leur joie et pour leurs