DOI Heft:
Nr. 4
DOI Artikel:Dorbec, Prosper: Le portraitiste Aved et Chardin portraitiste, 3
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
natures mortes dans son riche cabinet; dans ces conditions, Aved
put bien être redevable à son ami de la commande du beau portrait
de Mme Crozat à son métier à tapisser.
Nous avons feuilleté les procès-verbaux de l’Académie royale de
peinture, dans l’espérance d’y découvrir quelques traces de cette
édifiante amitié. Or, à chaque séance où ils furent ensemble pré-
sents, leurs signatures, immanquablement, figurent l’une à côté
de l’autre, à tout le moins séparées par le nom d’un ami commun,
soit Tocqué, soit Frontier, soit le graveur Massé. Les cinq artistes
devaient former un groupe au sein de l’Assemblée. En 17491, Aved
se casse la jambe ; c’est Chardin, accompagné de Frontier, que
l’Académie envoie à son domicile prendre de ses nouvelles ; Tocqué,
à son tour, tombant malade, Aved et Massé lui sont dépêchés2 ; enfin,
une autre fois, Massé, pour la même raison, reçoit la visite de
Chardin et de Tocqué3. Mais surtout, ce voisinage continuel des
deux noms au bas des procès-verbaux est curieusement évocateur.
L’amitié des deux peintres s’y est, en quelque sorte, inscrite officiel-
lement.
Il ne faudrait pas que notre culte pour Chardin fit oublier les
mérites d’Aved, ni surtout que leur fidèle amitié fit retirer à celui-ci
la paternité de ses productions. L’œuvre du portraitiste, au demeu-
rant, semble avoir été assez inégale et plus d’une fois, dans son
coloris ou son dessin, avoir cloché par quelque maladresse; elle ne
saurait ajouter à la gloire du peintre d’intimités. Ce qui est certain,
c’est qu elle séduit souvent par une solidité d’empâtement assez per-
sonnelle et aussi par un certain charme de simplicité familière.
Il y a là véritablement comme un reflet du merveilleux talent voi-
sin ; le maître eût peut-être entendu ainsi le portrait s’il s’y était
ouvertement adonné. Mais cette pâte parfois si pénible, comme son
pinceau vous l’aurait délicieusement variée, animée, allégée, et y
aurait en même temps insinué de la délicatesse et de la sensibilité!
PROSPER DORBEC
1. Séance du 29 mars.
2. Séance du 3 mars 1753.
3. Séance du 23 avril 1731.
L'Imprimeur-gérant : J.-F. Schnerb.
PARIS. — IMPRIMERIE DE LA « GAZETTE DES BEAUX-ARTS »_, 8, RUE FAVART.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
natures mortes dans son riche cabinet; dans ces conditions, Aved
put bien être redevable à son ami de la commande du beau portrait
de Mme Crozat à son métier à tapisser.
Nous avons feuilleté les procès-verbaux de l’Académie royale de
peinture, dans l’espérance d’y découvrir quelques traces de cette
édifiante amitié. Or, à chaque séance où ils furent ensemble pré-
sents, leurs signatures, immanquablement, figurent l’une à côté
de l’autre, à tout le moins séparées par le nom d’un ami commun,
soit Tocqué, soit Frontier, soit le graveur Massé. Les cinq artistes
devaient former un groupe au sein de l’Assemblée. En 17491, Aved
se casse la jambe ; c’est Chardin, accompagné de Frontier, que
l’Académie envoie à son domicile prendre de ses nouvelles ; Tocqué,
à son tour, tombant malade, Aved et Massé lui sont dépêchés2 ; enfin,
une autre fois, Massé, pour la même raison, reçoit la visite de
Chardin et de Tocqué3. Mais surtout, ce voisinage continuel des
deux noms au bas des procès-verbaux est curieusement évocateur.
L’amitié des deux peintres s’y est, en quelque sorte, inscrite officiel-
lement.
Il ne faudrait pas que notre culte pour Chardin fit oublier les
mérites d’Aved, ni surtout que leur fidèle amitié fit retirer à celui-ci
la paternité de ses productions. L’œuvre du portraitiste, au demeu-
rant, semble avoir été assez inégale et plus d’une fois, dans son
coloris ou son dessin, avoir cloché par quelque maladresse; elle ne
saurait ajouter à la gloire du peintre d’intimités. Ce qui est certain,
c’est qu elle séduit souvent par une solidité d’empâtement assez per-
sonnelle et aussi par un certain charme de simplicité familière.
Il y a là véritablement comme un reflet du merveilleux talent voi-
sin ; le maître eût peut-être entendu ainsi le portrait s’il s’y était
ouvertement adonné. Mais cette pâte parfois si pénible, comme son
pinceau vous l’aurait délicieusement variée, animée, allégée, et y
aurait en même temps insinué de la délicatesse et de la sensibilité!
PROSPER DORBEC
1. Séance du 29 mars.
2. Séance du 3 mars 1753.
3. Séance du 23 avril 1731.
L'Imprimeur-gérant : J.-F. Schnerb.
PARIS. — IMPRIMERIE DE LA « GAZETTE DES BEAUX-ARTS »_, 8, RUE FAVART.