Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 35.1906)

LA « VÉNUS AU MIROIR » DE VELAZQUEZ

Célébrer l’œuvre qu’on avait souhaité posséder, et qui vous
est ravie, a des côtés cruels. Mais, entre adversaires courtois,
quand la lutte est finie et que le sort a décidé du vainqueur,
on peut se rendre hommage sans petitesses mesquines. L’entrée à la
National Gallery de la célèbre Vénus au miroir de Velâzquez, con-
servée en Angleterre dans la même famille depuis près d’un siècle,
est un événement trop notable, et qui fait trop grand honneur à l’ini-
tiative privée anglaise, pour n’être pas signalé avec une particulière
attention.

Le « Velâzquez d’un million », comme on ne manquera pas de
l’appeler désormais — encore le prix payé dépasse-t-il même ce
chiffre1, — est une de ces œuvres rares, d’importance primordiale,
comme il n’en apparaît que de temps à autre sur le marché. Elle
ne pouvait manquer d’exciter aussitôt d’ardentes et légitimes con-
voitises. Après les folies de la vente Cronier, même une folie de ce
genre devenait presque sagesse. Aussi n’est-ce pas en Angleterre
seulement qu’on s’émut et s’agita. D’Europe et d’Amérique, certains

1. Il s’agit de 45 000 livres, soit 1 125 000 francs.