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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 2.1909

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Nr. 6
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Koechlin, Charles: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24872#0540

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

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guer au second plan et laisser le spectateur suppléer par l’imagination à ce qui
pouvait se trouver en défaut. Quelqu'un me rappelait, à ce propos, l’admirable
Danse de Scythe de Mmc IsadoraDuncan ; remarquait-on qu’elle était sans armes?
Dans le cas présent, il n’est pas question de supprimer les « accessoires », mais
d’éviter à tout prix le ridicule... Quant aux décors du Rheingold, ils sont très
acceptables, évidemment ;mais ce n’est pas cela, ce n’est pas du Wagner1. Je pense
malgré moi aux décors russes, qui sont des tableaux, et dont le principe est
d’évoquer, de suggérer, plutôt que de représenter en trompe-l’œil. Devant un
trompe-l’œil qui n’est pas absolument parfait, on discute, on devine le carton
peint; en face d’une œuvre d’art on ne pense pas à la toile.

Mais, si l’on n’est pas assez ému à l’Opéra, la faute n’en serait-elle pas aussi
au poème, ou à la musique? En ce qui concerne la musique, prenons-y garde :
l’exécution d’une œuvre peut changer complètement suivant celui qui la con-
duit, changer non seulement quant à la qualité matérielle, mais quanta l’expres-
sion et au sentiment que l’auteur a voulu y traduire. Certes, le Rheingold contient
quelques passages languissants, des récitatifs un peu longs, et des scènes copieu-
sement traitées, où personne n’est pressé d’en finir. Mais, si tout cela se remarque
trop à l’Opéra, c’est que peut-être l’œuvre, sous la direction de M. Messager,
manque un peu de mouvement, de vie, de passion. M. Messager est un chef
impeccable, dont nul ne songe à nier les rares mérites de précision, de netteté,
d’équilibre; lui et son orchestre sont parfaits; et pourtant, non, je ne puis trouver
que ce soit là « du Wagner »; cc n’est pas cela.

Reste le poème. Les commentateurs firent œuvre louable et courageuse aux
temps des luttes wagnérienties à présent ils sont comme les ciceroni d’un
musée illustre, et nous gâtent peut-être notre plaisir, par une admiration
exagérée; en insistant sur les idées philosophiques, ils nous poussent à analyser
les caractères, à réfléchir aux causes des divers épisodes, ce qui nous fait remar-
quer des contradictions que nul ne songerait à relever dans un conte de fées.
Mais le conte de fées pour grandes personnes est presque toujours alternati-
vement trop raisonnable ou trop illogique. Tous ces symboles, personnages que
pour la plupart nous connaissions déjà (nous les retrouvons avec joie dans les
Niebelungen) — la Belle au bois dormant, les nains des contes de Grimm et des
légendes bretonnes, les trolls et les ondines des délicieux contes Scandinaves, le
Dieu volage, son épouse digne et jalouse, le rachat des fautes par le Sauveur
attendu, le trésor volé de YAnkus du Roi% la jeunesse intrépide et joyeuse de
MowgliJ, — tous ces symboles, Wagner a tenté de les réunir en une œuvre colossale,
épopée féerique et philosophique à la fois, conception géniale et surhumaine.
Rien d’étonnant si Ton remarque quelques soudures, maintenant que le mirage a
cessé grâce auquel la Tétralogie apparaissait comme un immense monolithe, un
roc sans fissures et sans défauts. Mais vraiment, devant celte œuvre de volonté
entre toutes, alors que les conditions matérielles et morales de la création musi-
cale sont si dures, devant toutes ces difficultés vaincues par une énergie et une
opiniâtreté admirables, a-t-onle droit d’insistersur telle contradiction dupoème,
sur telles longueurs de la musique? L’auditeur les remarquera toujours assez ;

1. Notons cependant le Walhall, forteresse inaccessible au sommet d’un Cervin
escarpé, et dont les lignes et l'aspect sont fort réussis.

2 et 3. Cf. le Livre de la Jungle, de R. Kipling, écrit d’après des contes populaires.
 
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