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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
nommé il Musca1 : ils ne pouvaient faire un meilleur choix. Le
« Padovano » avait déjà collaboré, avant de s’établir vers 1530 à Cra-
covie, à la décoration de l’église Saint-Antoine de Padoue. Comme
l’architecte italien du Belvédère de Prague, il s’inspira du plus fameux
monument civil de sa ville natale : le Palazzo délia Ragione (Salone) :
avec ses arcades, ses grands escaliers extérieurs, sa vaste salle du
premier étage, la Halle aux draps apparaît comme un rappel nostal-
gique de l’Italie2. Pour comprendre la brusque substitution de la
Renaissance italienne au gothique allemand, rien ne vaut la leçon
de choses du Rynek de Cracovie, qui offre au regard surpris et déso-
rienté, à deux pas des tours de briques de l’église Notre-Dame, les
arcades à l’italienne de la Sukiennice, singulier amalgame du vieux
Nuremberg et du Marché aux herbes de Padoue.
C’est encore à Gian Maria Padovano que les bourgeois de Cra-
covie commandèrent en 1555 l’harmonieux tabernacle de l’église
Notre-Dame, si différent, par la justesse de ses proportions et sa
sobriété classique, des tabernacles allemands d’Ulm et de Nuremberg.
Cette influence de l’architecture italienne se perpétue longtemps
à Cracovie. Gian Maria Bernardone de Corne s’inspire du Gesù de
Rome pour construire l’église Saint-Pierre, fondée par Sigismond III
pour l’ordre des Jésuites. L’église de l’Université, placée sous le
vocable de sainte Anne, dont la décoration en stuc fut exécutée par
Baltasar Fontana, n’est qu’une réplique de l’église romaine de
S. Andrea délia Valle3.
La sculpture s’italianise en même temps que l’architecture : du
moins la sculpture en marbre, en albâtre ou en stuc; car il convient
de faire exception pour la sculpture en bois, art essentiellement
germanique, qui résiste à l’influence italienne : les mascarons en bois
sculpté de la salle de la Diète au Château royal, qui sont attribués
à Erasmus Kuncz, présentent indiscutablement un caractère alle-
mand. Au contraire, les tombeaux en marbre de la cathédrale du
Wawel sont de style purement italien. Gian Maria Padovano sculpte
le tombeau de l’évêque Peter Tomicki (1535) et le Florentin Santi
Gucci élève le monument du roi Etienne Bathory, qui fait déjà pres-
1. « Il célébré Musca, che lasciava in marmo ed in bronzo opéré pregevolis-
sime. »
2. Il est vrai que la restauration moderne, entreprise sous la direction du
peintre Jean Matejko, a encore accentué ce caractère italien.
3. L’église S. Andrea délia Valle, construite au milieu du xvne siècle par
Carlo Rainaldi, a servi également de modèle à la primatiale de Nancy.
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nommé il Musca1 : ils ne pouvaient faire un meilleur choix. Le
« Padovano » avait déjà collaboré, avant de s’établir vers 1530 à Cra-
covie, à la décoration de l’église Saint-Antoine de Padoue. Comme
l’architecte italien du Belvédère de Prague, il s’inspira du plus fameux
monument civil de sa ville natale : le Palazzo délia Ragione (Salone) :
avec ses arcades, ses grands escaliers extérieurs, sa vaste salle du
premier étage, la Halle aux draps apparaît comme un rappel nostal-
gique de l’Italie2. Pour comprendre la brusque substitution de la
Renaissance italienne au gothique allemand, rien ne vaut la leçon
de choses du Rynek de Cracovie, qui offre au regard surpris et déso-
rienté, à deux pas des tours de briques de l’église Notre-Dame, les
arcades à l’italienne de la Sukiennice, singulier amalgame du vieux
Nuremberg et du Marché aux herbes de Padoue.
C’est encore à Gian Maria Padovano que les bourgeois de Cra-
covie commandèrent en 1555 l’harmonieux tabernacle de l’église
Notre-Dame, si différent, par la justesse de ses proportions et sa
sobriété classique, des tabernacles allemands d’Ulm et de Nuremberg.
Cette influence de l’architecture italienne se perpétue longtemps
à Cracovie. Gian Maria Bernardone de Corne s’inspire du Gesù de
Rome pour construire l’église Saint-Pierre, fondée par Sigismond III
pour l’ordre des Jésuites. L’église de l’Université, placée sous le
vocable de sainte Anne, dont la décoration en stuc fut exécutée par
Baltasar Fontana, n’est qu’une réplique de l’église romaine de
S. Andrea délia Valle3.
La sculpture s’italianise en même temps que l’architecture : du
moins la sculpture en marbre, en albâtre ou en stuc; car il convient
de faire exception pour la sculpture en bois, art essentiellement
germanique, qui résiste à l’influence italienne : les mascarons en bois
sculpté de la salle de la Diète au Château royal, qui sont attribués
à Erasmus Kuncz, présentent indiscutablement un caractère alle-
mand. Au contraire, les tombeaux en marbre de la cathédrale du
Wawel sont de style purement italien. Gian Maria Padovano sculpte
le tombeau de l’évêque Peter Tomicki (1535) et le Florentin Santi
Gucci élève le monument du roi Etienne Bathory, qui fait déjà pres-
1. « Il célébré Musca, che lasciava in marmo ed in bronzo opéré pregevolis-
sime. »
2. Il est vrai que la restauration moderne, entreprise sous la direction du
peintre Jean Matejko, a encore accentué ce caractère italien.
3. L’église S. Andrea délia Valle, construite au milieu du xvne siècle par
Carlo Rainaldi, a servi également de modèle à la primatiale de Nancy.