CHRONIQUE MUSICALE
Académie Nationale de musique : SALOMÉ, drame lyrique en un acte
d'Oscar Wilde, musique de M. Richard Strauss.
Les représentations du Châtelet furent-elles meilleures? Sans doute, l’au-
teur y conduisait lui-même et pouvait indiquer à tous la tradition exacte.
Mais, dans son ensemble, la réalisation de l’Opéra me paraît excellente.
S’il y a quelques erreurs de mise en scène, ce n’est pas très grave; les
costumes et le décor sont fort beaux; l’orchestre, sous la direction de M. Mes-
sager, s’est acquitté superbement de sa tâche difficile; et, quant aux inter-
prètes, ils n’ont rien à redouter d’une comparaison avec leurs confrères alle-
mands. On ne peut que louer le jeu et la voix de Mmes Le Senne et Bailac, de
MM. Dufianne et Dubois. Pour M. Muratore, très différent du caricatural fan-
toche sous les traits duquel l’artiste du Châtelet avait représenté Hérode, c’est
un fou terrible et grandiose, qui dans ses pires égarements reste toujours un
roi : sa lutte avec Salomé n’en est que plus poignante, et sa défaite plus pro-
fonde. Reste MUe Garden. Son indépendance naturelle l’entraîne à quelques
libertés avec la tradition scénique, et je n’aime pas tout dans son jeu; mais elle
a des trouvailles. Je sais bien que sa voix est un peu couverte par la terrible
tempête de l’orchestre : ce n’en est que plus émotionnant, et mieux en rap-
port avec la pièce. Salomé est une petite malade, tarée, jouet de l’hérédité et de
ses vices : la voix superbe de Mlle Destinn était trop bien portante; etMme Frern-
stad même, pourtant si belle, était moins impressionnante, peut-être, que cette
petite fille rousse, hystérique, suant le crime et la folie, en qui se transforme
MUe Garden. Avec cela, une sorte d’inconscience enfantine : lorsqu’elle demande
si candidement la tête d’Iokanaan, il semble que ce soit Mélisande. Et j’ai
retrouvé, avec cette étonnante artiste, une aberration bizarre due à l’optique
théâtrale — laquelle, comme chacun sait, est souvent brouillée avec la morale
la plus élémentaire — : il y a des moments où le rôle de Salomé est plutôt
sympathique; où l’on est agacé par l’obstination de ce Iokanaan; où l’on
comprend très bien qu’Hérode arrive à céder...
La cause en est aussi dans l’œuvre elle-même : musicalement, la pièce n’est
pas équilibrée entre Iokanaan et Salomé, et l’on ne peut s’intéresser au Précur-
seur qu’autant que son rôle contient de beauté. Le plus souvent, il est ennuyeux
Académie Nationale de musique : SALOMÉ, drame lyrique en un acte
d'Oscar Wilde, musique de M. Richard Strauss.
Les représentations du Châtelet furent-elles meilleures? Sans doute, l’au-
teur y conduisait lui-même et pouvait indiquer à tous la tradition exacte.
Mais, dans son ensemble, la réalisation de l’Opéra me paraît excellente.
S’il y a quelques erreurs de mise en scène, ce n’est pas très grave; les
costumes et le décor sont fort beaux; l’orchestre, sous la direction de M. Mes-
sager, s’est acquitté superbement de sa tâche difficile; et, quant aux inter-
prètes, ils n’ont rien à redouter d’une comparaison avec leurs confrères alle-
mands. On ne peut que louer le jeu et la voix de Mmes Le Senne et Bailac, de
MM. Dufianne et Dubois. Pour M. Muratore, très différent du caricatural fan-
toche sous les traits duquel l’artiste du Châtelet avait représenté Hérode, c’est
un fou terrible et grandiose, qui dans ses pires égarements reste toujours un
roi : sa lutte avec Salomé n’en est que plus poignante, et sa défaite plus pro-
fonde. Reste MUe Garden. Son indépendance naturelle l’entraîne à quelques
libertés avec la tradition scénique, et je n’aime pas tout dans son jeu; mais elle
a des trouvailles. Je sais bien que sa voix est un peu couverte par la terrible
tempête de l’orchestre : ce n’en est que plus émotionnant, et mieux en rap-
port avec la pièce. Salomé est une petite malade, tarée, jouet de l’hérédité et de
ses vices : la voix superbe de Mlle Destinn était trop bien portante; etMme Frern-
stad même, pourtant si belle, était moins impressionnante, peut-être, que cette
petite fille rousse, hystérique, suant le crime et la folie, en qui se transforme
MUe Garden. Avec cela, une sorte d’inconscience enfantine : lorsqu’elle demande
si candidement la tête d’Iokanaan, il semble que ce soit Mélisande. Et j’ai
retrouvé, avec cette étonnante artiste, une aberration bizarre due à l’optique
théâtrale — laquelle, comme chacun sait, est souvent brouillée avec la morale
la plus élémentaire — : il y a des moments où le rôle de Salomé est plutôt
sympathique; où l’on est agacé par l’obstination de ce Iokanaan; où l’on
comprend très bien qu’Hérode arrive à céder...
La cause en est aussi dans l’œuvre elle-même : musicalement, la pièce n’est
pas équilibrée entre Iokanaan et Salomé, et l’on ne peut s’intéresser au Précur-
seur qu’autant que son rôle contient de beauté. Le plus souvent, il est ennuyeux