N'° 13.
15 Juillet 1872.
Or iTonziÈME Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE
paraissant deux fois par mois, sons fa direction de M. Ad. SID ET. mi'mlire de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant de fa Commission royale des monuments, memfire de
J'Institut des provinces de France, de la Société française d'Arcliéologie, de l'Académie de Reims, de l'Académie d'Archéologie de Madrid, etc.
On s’abonne: A Anvers, chez TEPSARO, éditeur 5 à Bruxelles, chczDKCQ et MUQUARDT ; à Gand,ehez j
TIOSTE et ROGGÉ; à Liège, chez DE POUR etDECQ ; dansles autres villes, chez tous les lihrairos. Pour l’Al-
lemagne, la Russie et PÀmérirrue : C. MUQUARDT. La Franc-?: 'à RENOUA RD. Paris. Pour la Hollande :
MARTINUS NYHOFF, à la Haye. Pour l’Angleterre et l’Irlande : chez BARTHFLS etLOWELL, 14, Groat
Marlborough Street, à Londres" — l'rlx d’abonnement : pour toute la Belgique, (port compris).
Par an, 8 fr. — Étranger, (port compris) : Allemagne, 3 thl 10 gr. — France, 11 fr. — Hollande, 5 fl. —
Angleterre et Irlande, 8. s. 6 d. — Prix par numéro 40 c. — Réclames : 50 e. la ligne. — Pour les
grandes annonces on traite à forfait. — Annonces : 30 c. la ligne. — Pour tout ce qui regarde l’admini-
stration ou les annonces s’adresser à M. le Directeur du Journal df< Beaux-Arts, rue du Casino, à
St-Nicolas. — Il pourra être rendu compte des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction. —
M. C. MUQU ARDT est le seul éditeur et représentant du JOURNAL DES Beaux* AÉTS pour l’Allemagne, la
Russie et l’Amérique.
SOMMAIRE : Belgique. — Concours de l'Aca-
démie d’Anvers 1871-1872 — Cérémonies pu-
bliques dans les Pays-Bas -— Exposition de
Molembeek St Jean — France. — Corr. part,
de Paris. Exposition des Beaux-Arts — Alle-
magne: Correspondance part, de Berlin.—
Chronique générale. — Annonces.
BELGIQUE.
Concours 1871-1872.
Cours (TEsMip et de littérature générale donnés par
M. J. ROUSSEAU
a l’académie royale d’anvers. (fin.)
» CORRÈGE, PEINTRE DE PLAFONDS.
» Le Corrège fonda aussi une grande
école de peinture à Parme. Ce qui le rendit
célèbre, ce sont ses fresques de la cathé-
drale de Parme où il lit le premier emploi
de figures plafonnantes. Son Assomption de
ici Vierge en est un exemple. Les figures
plafonnantes offrent un nouveau moyen de
beauté, Il y déploie une grande habileté,
ses raccourcis sont étonnants et il n’y a
que Michel-Ange qui puisse lui être com-
paré sous ce rapport. Par ces fresques, il
perfectionna aussi la perspective, car, dans
ces plafonds, le point de vue doit varier
selon la place dont le spectateur voit les
figures.
» I! perfectionna aussi le clair-obscur.
Au lieu d’opposilionssystématiques du som-
bre au clair, il joint l’ombre avec l’ombre
et la lumière avec la lumière, en les gradu-
ant délicatement et les disposant par grandes
niasses.
» fl n’y a qu’une chose qui soit sujette à
être discutée, c’est la logique des figures
plafonnantes, en ce sens qu’elles font une
ouverture dans le plafond là où l'architecte
avait pensé faire un plafond fermé. Ensuite
l’architecture ne peut figurer dans les ta^
Idéaux plafonnants, car elle peut bien faire
en la voyant d’un côté, mais de l’autre elle
semblera tomber à la renverse. Corrège a
eu soin de l’éviter dans ses plafonds.
» Le paysage y est encore toléré jusqu’à
un certain point.
La question de littérature générale était
celle-ci :
En quoi le Dante appartient-il à la fois au
moyen-âge et à la renaissance ? Indiquer les
principaux épisodes de l'Enfer et dire le par-
ti que l'art en a tiré.
Voici comment un élève-architecte, M.
Henri Vanden Berglie, répond au premier
point d’interrogation.
» Le Dante appartient à la fois au moyen-
âge et à la renaissance,
» Il appartient par l’idée et les symboles
qu’il met dans son poème au moyen-âge ;
il appartient à la renaissance parcequ’il
remet en scène les types de l’antiquité.
Dans le commencement de son poème,
quand il commence à décrire l’enfer, il en-
tre dans une forêt, i! doit gravir une colli-
ne; quand il s’apprête à y passer, il voit une
panthère, un lion, une louve qui lui bar-
rent le chemin; Beatrix envoie alors à son
secours Virgile. Eh bien, chacun de ces
animaux et de ces personnages a une idée
symbolique. La forêt figure le monde, la
colline les vertus, la panthère la bassesse,
le lion l’orgueil, et la louve l’avarice. Vir-
gile, c’est la raison humaineqni accompagne
l’homme ; il est envoyé par Beatrix qui est
la foi divine. Dante choisit Virgile, parce-
que c’est lui qui a déjà décrit l’enfer, dans
l’antiquité ; de même, pour décrire les cieux,
i! a pour compagnon quelqu’un qui les a
déjà vus avant lui.
» Il est de la renaissance, parcequ’il res-
suscite Virgile et d’autres figures de l’anti-
quité; il prend Caron, Minos, le Minotaure,
Dhlcgias, les Centaures, le Styx et tant d’au-
tres choses empruntées à la mythologie et à
l’antiquité ; il ne copie pas les types anti-
ques ; il fait comme les peintres de la re-
naissance qui imitent sans copier servile-
ment. Minos chez lui n’est pas lin législateur,
c’est un démon à longues oreilles ; le Cer-
bère est un dragon, Caron est également
un démon ; toujours Dante modifie et
change les types anciens pour d’autres qui
s’accordent plus avec la poésie chrétienne. »
Il convenait d’ajouter que celte résurrec-
tion des types antiques, même altérés, a
commencé le grand mouvement artistique
de la Renaissance en ramenant le goût et.
l’élude de l’art antique. Un des lauréats
déjà nommés du concours d’esthétique, M.
Georges Geefs, a eu soin de signaler ce côté
important de la question, et, après avoir
résumé l'Enfer du Dame, il prouve ainsi,
en quelques mots, qu’il en a compris le
sens et l’esprit :
« Ici en passant on doit remarquer com-
me Dante applique bien ses châtiments.
] Les pécheurs par amour sont entraînés dans
! line tempête éternelle, pour exprimer la
| violence de la passion qui les entraîna. Les
| voleurs sont punis et tourmentés par les ser-
pents, pour indiquer qu’ils emploient tou-
jours la ruse. Les flatteurs et les adulateurs
croupissent dans la fiente pour montrer la
bassesse de leurs passions. Chaque châti-
ment est admirablement conformé au pé-
ché qu’il expie. »
Voici ce que le même élève dit de l’in-
fluence du Dante sur les principaux artistes
qui se sont inspirés de son poème ;
» Dante a énormément influé sur l’art ;
déjà même à son époque,on s’est inspiré de
lui. Ainsi Orcagna en a profité dans son
Jugement dernier et son Enfer, et Siguorelli
dans son Jugement dernier et dans les huit
médaillons en grisaille qui accompagnent
ses fresques d’Orvieto. Orcagna et Signo-
relli ont très bien compris le Dante ; ils
ont mis dans leurs œuvres quelquefois une
certaine barbarie qu’on trouve également
dans le Dante. Mais celui qui a le mieux
compris Dante, c’est Michel-Ange, avec sou
caractère farouche et passionné, son éner-
gie rude; il a réussi comme le Dante à
frapper le public de stupeur, mais sans
prêter à rire, comme cela arrive parfois à
Dante. Michel-Ange s’est inspiré du Dante
pour sa barque, dans son Jugement dernier;
il a aussi fait des yeux de flamme à son
Caron ; il s'en est encore inspiré dans sa
fresque du Serpent d’airain qu’il a prise du
tourment des voleurs. Du reste, la Divine
Comédie du Dante était la lecture favorite
de Michel-Ange.
» Dans les temps modernes Dante inspira
un grand nombre d’artistes, entre autres
Ary Scheffer, dans sa Françoise de Rimim
et Paul Malatesta devant Dante et Virgile
racontant leur malheur. Ce tableau renferme
de grandes qualités, il n’y a qu’une chose à
lui reprocher, il veut trop plaire au public ;
il a quelque chose de trop efféminé ; ce
n’est pas là la rudesse du Dante, et la
Françoise de Bimini est plutôt une femme
française qu’une femme italienne. Scheffer
s’est encore inspiré du Dante pour sa
Beatrix en contemplation que le Dante,
ébloui, regarde.
» Ingres a aussi fait un tableau de l’as-
sassinat de Françoise de Rimini par son
mari.
» Eugène Delacroix a reproduit la scène
de Dante et Virgile dans la barque, au mo-
ment où Philippe Argenli la prend entre
ses dents. Il y a des défauts dans cette toile
comme dessin, mais l’effet diamatique est
j admirablement rendu. »
15 Juillet 1872.
Or iTonziÈME Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE
paraissant deux fois par mois, sons fa direction de M. Ad. SID ET. mi'mlire de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant de fa Commission royale des monuments, memfire de
J'Institut des provinces de France, de la Société française d'Arcliéologie, de l'Académie de Reims, de l'Académie d'Archéologie de Madrid, etc.
On s’abonne: A Anvers, chez TEPSARO, éditeur 5 à Bruxelles, chczDKCQ et MUQUARDT ; à Gand,ehez j
TIOSTE et ROGGÉ; à Liège, chez DE POUR etDECQ ; dansles autres villes, chez tous les lihrairos. Pour l’Al-
lemagne, la Russie et PÀmérirrue : C. MUQUARDT. La Franc-?: 'à RENOUA RD. Paris. Pour la Hollande :
MARTINUS NYHOFF, à la Haye. Pour l’Angleterre et l’Irlande : chez BARTHFLS etLOWELL, 14, Groat
Marlborough Street, à Londres" — l'rlx d’abonnement : pour toute la Belgique, (port compris).
Par an, 8 fr. — Étranger, (port compris) : Allemagne, 3 thl 10 gr. — France, 11 fr. — Hollande, 5 fl. —
Angleterre et Irlande, 8. s. 6 d. — Prix par numéro 40 c. — Réclames : 50 e. la ligne. — Pour les
grandes annonces on traite à forfait. — Annonces : 30 c. la ligne. — Pour tout ce qui regarde l’admini-
stration ou les annonces s’adresser à M. le Directeur du Journal df< Beaux-Arts, rue du Casino, à
St-Nicolas. — Il pourra être rendu compte des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction. —
M. C. MUQU ARDT est le seul éditeur et représentant du JOURNAL DES Beaux* AÉTS pour l’Allemagne, la
Russie et l’Amérique.
SOMMAIRE : Belgique. — Concours de l'Aca-
démie d’Anvers 1871-1872 — Cérémonies pu-
bliques dans les Pays-Bas -— Exposition de
Molembeek St Jean — France. — Corr. part,
de Paris. Exposition des Beaux-Arts — Alle-
magne: Correspondance part, de Berlin.—
Chronique générale. — Annonces.
BELGIQUE.
Concours 1871-1872.
Cours (TEsMip et de littérature générale donnés par
M. J. ROUSSEAU
a l’académie royale d’anvers. (fin.)
» CORRÈGE, PEINTRE DE PLAFONDS.
» Le Corrège fonda aussi une grande
école de peinture à Parme. Ce qui le rendit
célèbre, ce sont ses fresques de la cathé-
drale de Parme où il lit le premier emploi
de figures plafonnantes. Son Assomption de
ici Vierge en est un exemple. Les figures
plafonnantes offrent un nouveau moyen de
beauté, Il y déploie une grande habileté,
ses raccourcis sont étonnants et il n’y a
que Michel-Ange qui puisse lui être com-
paré sous ce rapport. Par ces fresques, il
perfectionna aussi la perspective, car, dans
ces plafonds, le point de vue doit varier
selon la place dont le spectateur voit les
figures.
» I! perfectionna aussi le clair-obscur.
Au lieu d’opposilionssystématiques du som-
bre au clair, il joint l’ombre avec l’ombre
et la lumière avec la lumière, en les gradu-
ant délicatement et les disposant par grandes
niasses.
» fl n’y a qu’une chose qui soit sujette à
être discutée, c’est la logique des figures
plafonnantes, en ce sens qu’elles font une
ouverture dans le plafond là où l'architecte
avait pensé faire un plafond fermé. Ensuite
l’architecture ne peut figurer dans les ta^
Idéaux plafonnants, car elle peut bien faire
en la voyant d’un côté, mais de l’autre elle
semblera tomber à la renverse. Corrège a
eu soin de l’éviter dans ses plafonds.
» Le paysage y est encore toléré jusqu’à
un certain point.
La question de littérature générale était
celle-ci :
En quoi le Dante appartient-il à la fois au
moyen-âge et à la renaissance ? Indiquer les
principaux épisodes de l'Enfer et dire le par-
ti que l'art en a tiré.
Voici comment un élève-architecte, M.
Henri Vanden Berglie, répond au premier
point d’interrogation.
» Le Dante appartient à la fois au moyen-
âge et à la renaissance,
» Il appartient par l’idée et les symboles
qu’il met dans son poème au moyen-âge ;
il appartient à la renaissance parcequ’il
remet en scène les types de l’antiquité.
Dans le commencement de son poème,
quand il commence à décrire l’enfer, il en-
tre dans une forêt, i! doit gravir une colli-
ne; quand il s’apprête à y passer, il voit une
panthère, un lion, une louve qui lui bar-
rent le chemin; Beatrix envoie alors à son
secours Virgile. Eh bien, chacun de ces
animaux et de ces personnages a une idée
symbolique. La forêt figure le monde, la
colline les vertus, la panthère la bassesse,
le lion l’orgueil, et la louve l’avarice. Vir-
gile, c’est la raison humaineqni accompagne
l’homme ; il est envoyé par Beatrix qui est
la foi divine. Dante choisit Virgile, parce-
que c’est lui qui a déjà décrit l’enfer, dans
l’antiquité ; de même, pour décrire les cieux,
i! a pour compagnon quelqu’un qui les a
déjà vus avant lui.
» Il est de la renaissance, parcequ’il res-
suscite Virgile et d’autres figures de l’anti-
quité; il prend Caron, Minos, le Minotaure,
Dhlcgias, les Centaures, le Styx et tant d’au-
tres choses empruntées à la mythologie et à
l’antiquité ; il ne copie pas les types anti-
ques ; il fait comme les peintres de la re-
naissance qui imitent sans copier servile-
ment. Minos chez lui n’est pas lin législateur,
c’est un démon à longues oreilles ; le Cer-
bère est un dragon, Caron est également
un démon ; toujours Dante modifie et
change les types anciens pour d’autres qui
s’accordent plus avec la poésie chrétienne. »
Il convenait d’ajouter que celte résurrec-
tion des types antiques, même altérés, a
commencé le grand mouvement artistique
de la Renaissance en ramenant le goût et.
l’élude de l’art antique. Un des lauréats
déjà nommés du concours d’esthétique, M.
Georges Geefs, a eu soin de signaler ce côté
important de la question, et, après avoir
résumé l'Enfer du Dame, il prouve ainsi,
en quelques mots, qu’il en a compris le
sens et l’esprit :
« Ici en passant on doit remarquer com-
me Dante applique bien ses châtiments.
] Les pécheurs par amour sont entraînés dans
! line tempête éternelle, pour exprimer la
| violence de la passion qui les entraîna. Les
| voleurs sont punis et tourmentés par les ser-
pents, pour indiquer qu’ils emploient tou-
jours la ruse. Les flatteurs et les adulateurs
croupissent dans la fiente pour montrer la
bassesse de leurs passions. Chaque châti-
ment est admirablement conformé au pé-
ché qu’il expie. »
Voici ce que le même élève dit de l’in-
fluence du Dante sur les principaux artistes
qui se sont inspirés de son poème ;
» Dante a énormément influé sur l’art ;
déjà même à son époque,on s’est inspiré de
lui. Ainsi Orcagna en a profité dans son
Jugement dernier et son Enfer, et Siguorelli
dans son Jugement dernier et dans les huit
médaillons en grisaille qui accompagnent
ses fresques d’Orvieto. Orcagna et Signo-
relli ont très bien compris le Dante ; ils
ont mis dans leurs œuvres quelquefois une
certaine barbarie qu’on trouve également
dans le Dante. Mais celui qui a le mieux
compris Dante, c’est Michel-Ange, avec sou
caractère farouche et passionné, son éner-
gie rude; il a réussi comme le Dante à
frapper le public de stupeur, mais sans
prêter à rire, comme cela arrive parfois à
Dante. Michel-Ange s’est inspiré du Dante
pour sa barque, dans son Jugement dernier;
il a aussi fait des yeux de flamme à son
Caron ; il s'en est encore inspiré dans sa
fresque du Serpent d’airain qu’il a prise du
tourment des voleurs. Du reste, la Divine
Comédie du Dante était la lecture favorite
de Michel-Ange.
» Dans les temps modernes Dante inspira
un grand nombre d’artistes, entre autres
Ary Scheffer, dans sa Françoise de Rimim
et Paul Malatesta devant Dante et Virgile
racontant leur malheur. Ce tableau renferme
de grandes qualités, il n’y a qu’une chose à
lui reprocher, il veut trop plaire au public ;
il a quelque chose de trop efféminé ; ce
n’est pas là la rudesse du Dante, et la
Françoise de Bimini est plutôt une femme
française qu’une femme italienne. Scheffer
s’est encore inspiré du Dante pour sa
Beatrix en contemplation que le Dante,
ébloui, regarde.
» Ingres a aussi fait un tableau de l’as-
sassinat de Françoise de Rimini par son
mari.
» Eugène Delacroix a reproduit la scène
de Dante et Virgile dans la barque, au mo-
ment où Philippe Argenli la prend entre
ses dents. Il y a des défauts dans cette toile
comme dessin, mais l’effet diamatique est
j admirablement rendu. »