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26 —

« On commence à comprendre, à apprécier Rem-
brandt et son œuvre. >•

Parlez pour vous, monsieur, mais je vous
ferai remarquer que notre héros est parfai-
tement connu et apprécié depuis plus d’un
siècle que parut le premier travail sérieux
et cela à une époque où il fallait être un
grand artiste pour mériter semblable hon-
neur. Baldinucci, presque contemporain de
Rembrandt en a parlé le premier, puis Hou-
braken, puis Gersaint, puis Daulby, puis
Claussin, puis Immerzeel, puis Ramelman
Elzevier, puis Kramm, puis Nagler, puis
Scheltema, puis Burnet, puis Vosmaer. Je
ne parle que de ceux qui ont fait sur le maî-
tre des travaux sérieux négligeant à dessein
les adroits qui ont rassemblé fastueusement
les recherches des autres et qui voguent
actuellement en pirates sur l’océan de la
popularité. Tous les gens que je cite ont
admirablement jugé l’artiste et l’on n’a
rien, mais absolument rien ajouté à la
gloire (je ne parle pas d’autre chose) du cé-
lèbre maître hollandais Seulement on a jugé
bon de supprimer des anecdotes qui met-
taient en suspicion la bonté ou la généro-
sité de son caractère et, chose bizarre
qui peint bien le courant du jour, on a établi
sa qualité de peintre humain tandis qu’on a
fait des efforts inouis pour enlever à sa qua-
lité d’être mortel ce même caractère humain.
C’est-à-dire qu’à l’artiste on otait l’art, soit
la poésie, et à l’homme on ôtait l’humanité,
soit la vie. On est arrivé à produire ainsi un
Rembrandt de fantaisie qui ressemble autant
au üls du meunierdeLeyden queCourbetres-
semble à Raphaël. Jadis, je le veux bien, on
a menti sur Rembrandt mais aujourd’hui on
ment bien plus et je ne dirai pas comme
M. Leclercq : on commence à comprendre
Rembrandt, mais bien : on commence à le
dénaturer.

Je m’aperçois que du train dont j’y vais la
traite sera longue. Abandonnons bien vite le
détail et restons sur les cîmes. Constatons
qu’à notre sens le critique a eu en mains la
plume du journaliste obligé d’aller vite et
non celle de l’historien ou du philosophe
tenu à certaines pondérations. R a eu son
thème, il s’y est complu, le moment lui a
paru propice pour enfourcher son dada de
la peinture instinctive, pour lancer un fou-
dre ou deux à la peinture symbolique et allé-
gorique, au mysticisme, sa bête noire, ou-
bliant que les peintres néerlandais ont, comme
tous les autres, sacrifié simplement, ou bête-
ment, comme il voudra, et dans de larges et
superbes proportions, à ces machines et
qu’en écrivant ainsi qu’il le fait à l’imitation
d’impressionistes humoristiques, il fausse
l’histoire sans s’en douter. Quelle est donc
cette révolution artistique qui a eu pour ré-
sultat d’empêcher l’envahissement des esprits
par les rebus enfantins de la mythologie ?
Mais nous avons en ce moment même sous

les yeux les catalogues complets des tableaux
néerlandais du xve au xvme siècle et nous
certifions a qui voudra qu’en Hollande,comme
partout, ce que M. Leclercq appellera les
rebus enfantins de la mythologie et le mysti-
cisme y était très développé et s’y est déve-
loppé avec une sorte de furie, seulement il
lui plait, ainsi qu’à ses prédécesseurs et à ses
co-philosophes, de ne point envisager la
question sous ce rapport et, toujours pour
les besoins de sa cause, il transforme en
révolutionnaires des artistes très calmes chez
lesquels il feint de ne pas voir, ou il ne
voit réellement pas, des hommes qui ont
simplement et énormément donné dans le
rebus enfantin et le mysticisme. C’est vérita-
blement effrayant d’avoir à constater un
parti-pris de celte violence et ce mépris
inoui de la vérité qui consiste à cacher ef-
frontément la lumière. Comment avez-vous
pu oublier, M.Leclercq,que sur cent tableaux
de Rembrandt il y en a quatre-vingt-dix re-
produisant des rebus et des choses mysti-
ques ; je sais bien qu’à la page 10b vous
cherchez à vous tirer d’affaire en disant ceci :

» Il est certes religieux mais le bon sens domine
et la raison règne. Le sentiment humain et social a
vaincu l’extase et la foi aveugle. La société s’étant
dégagée de ses langes, s’étant donné des lois en
harmonie avec son existence présente, ses besoins
et ses tendances, les « opérations divines » les mi-
racles sont relégués au second ou au troisième
plan. »

Je laisse de côté ce que Ton pourrait ré-
pondre à cette inintelligible série d’aphoris-
mes et je vais prouver à M. Leclercq qu’il
n’a pas vu les tableaux de Rembrandt car
alors ils ne sont plus ce qu’ils sont, ou bien
pendant deux siècles nous avons eu les yeux
dans notre poche. Au second et au troisième
plansles«opérationsdivines»et les miracles
chez Rembrandt! Que voulez-vous dire ? Y
a-t-il dans cette dernière phrase un sens qui
nous échappe et que vous rendez peut-être
imparfaitement? Si, au contraire, nous vous
avons bien compris : Et la Descente de Croix

— et la Samaritaine — et la Résurrection de
Lazare — et Jésus chassant les vendeurs du
temple — et la Femme adultère — et Y Ado-
ration des Bergers — et la Circoncision — et
la Visitation — et la Crucifixion. — et la
Rencontre de Diane et Endymion — et Su-
zanne au bain — et Tobie et sa famille — et
la Décollation de saint Jean-Baptiste— et YÉ-
ducation de la Vierge — et Y Ange parlant à
Joseph — et le Sacrifice cf Abraham — et Si >
meon au temple — et Saint Pierre au prétoire

— et Y Enlèvement de Ganymède — et YEcce
Homo, etc., etc.

Quoi, tous ces chefs d’œuvre, rebus et
mystères, toutes ces magnificences qui
nous montrent Rembrandt sous son jour
naturel, tout cela au second et au troisième
plan.... Ah, monsieur Leclercq!

[A continuer) Ad. Siret.

PROPOS D’ATELIER,

3.

Tous les peintres savent commencer un
tableau, les habiles, seuls, savent le finir.

La nature n’offre guère des tableaux tout
faits : elle n’en fournit que les éléments. Le
savoir les recueille, le goût ordonne de les
harmoniser.

On voit dans une esquisse tout ce qu’on
s’efforce d’y découvrir ; la bienveillance com-
plète ce qui manque et rectifie ce qui cloche.

Dans la réalité, un bœuf vu au troisième
plan d’un paysage est aussi bœuf qu’au pre-
mier. C’est bien différent dans la peinture
réaliste : le bœuf lointain s’y transforme
presque toujours en charade. S’il était mieux
fait il ne vaudrait plus rien.

Certains gargotiers donnent du chat pour
du lapin et de la vache enragée pour du veau.
On ne sait ce qu’on mange et cela semble
affreux ! En leurs ragoûts de peinture certains
paysagistes font cependant de même : on ne
sait ce qu’on voit, mais cà paraît admirable !

On trouve cent fabricants adroits, de ta-
bleautins et de statuettes, pour un véritable
artiste. Celui ci accomplit par passion, ce
que ceux là ne font que par industrie. Si
l’on chassait tous les marchands du temple, il
n’y resterait, peut-être, que le sacrificateur.

Pour produire un bon tableau l’imagina-
tion et le goût prennent à leur service le mé-
tier, et l’on confond, trop fréquemment, la
besogne faite par ce valet avec les ordres su-
périeurs donnés par ses maîtres.

L’homme qui n’a que de la brosse, de la
pâte, du flou, est parfois classé au-dessus de
6elui qui montre du style, de l’esprit, de
l’invention. Quand les aveugles choisissent
un roi, ils préfèrent, nécessaii'ement, un
borgne.

Notre image se reproduit dans une photo-
graphie comme dans une glace; mais ici
elle nous agrée souvent, et là elle nous dé-
plaît presque toujours. C’est que, d’une part,
notre amour propre corrige de suite tous les
défauts, et qu’on les retouche difficilement
de l’autre.

Nous n’avons guère de susceptibilité pour
autrui : notre portrait nous paraît toujours
asseq laid et celui de notre ami toujours asse%
beau.

On a rarement la réputation qu’on mérite :
elle est au-dessus ou au-dessous du talent;
souvent même elle augmente quand le ta-
lent diminue.
 
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