Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
— 134 —

fiait le tact exquis de M. de Jonge van Elle-
meet qui pour affirmer, en terminant, par
une preuve matérielle, la bonne entente ac-
tuelle entre belges et néerlandais, félicita le
bourgmestre, au nom de ses compatriotes,
de la haute distinction honorifique qui lui
avait été remise, le matin même, de la part
de S. M. le Roi des Pays-Bas.

M. Springer, président de la société am-
sterdamoise Arti et Amicitiœ, parla briève-
ment ensuite, puis M. Leubach, membre de
l’Académie de Munich, ajouta quelques mots
en allemand en réponse au discours de bien-
venue... mais, le temps pressait; l’heure fixée
au programme pour l’exécution de la Ru-
bens cantate était déjà passée. M. le bourg-
mestre leva la séance et donna le signal du
départ.

Les membres du Congrès, guidés par le
Conseil échevinal et la Commission organi-
satrice se dirigèrent en corps vers la Place
Verte — littéralement couverte de monde —
et allèrent occuper l’emplacement qui leur
avait été réservé vis-à-vis de la statue de
Rubens, à proximité de l’estrade du chef
d’orchestre.

IV.

Huit heures sonnent : M. Peter Benoît,
monte à l’estrade : on applaudit. Puis, tout
se tait, les bruits s’effacent graduellement, les
conversations demeurent ébauchées, les pa-
roles s’arrêtent aux lèvres. Il y a cinq mi-
nutes, la Place Verte, vaste plaine sonore,
rappelait par sa houle mugissante, l’ondu-
lation des vagues à l’approche de l’orage ; à
présent c’est le majestueux silence du désert
précurseur du Simoün.

La soirée est comparable à ces tièdes nuits
de Naples, où l’on se prend à regretter de
bonne foi que l’aurore doive encore se lever.
Le vent est tombé, les étoiles scintillent, tout
ici nous rappelle l’Italie. Tout, jusqu’à la
décoration de la Place Verte avec ses mâts
vénitiens ceints de corbeilles fleuries. Malgré
nous ces banderoles flottantes nous font son-
ger à la Pia\\etta, aux Pili de bronze et de
cèdre dressés devant la basilique de Saint
Marc, balançant au souffle de la brise leurs
oriflammes ondoyantes aux couleurs des
royautés vassales de la Sérénissime Républi-
que : Chypre, Candie et Morée.

Mais notre rêverie d’un moment fait place
à une curiosité anxieuse. Nous sommes là
quatre ou six appuyés à l’estrade de notre
cher maestro : M. Jules Pecher qui triom
phera avec tant d'éclat lundi à l’inauguration
du buste du Roi de la fête, du glorieux jubi-
laire, MM. Léon Jouret, Schadde, Claeys,
Guffens Sweerts etc.

Vis-à-vis de nous le bourgmestre et M. de
Keyser, directeur de f Academie d Anvers.
Tout à côté, M. Garnier qui nous serre la
main en nous rappelant la Capilla Riccardi;
M. Meissonnier auquel nous conseillons en
riant de veiller à son portefeuille — il l’avait
égaré à Florence chez le sculpteur Dupré.
-— MM. Alvin et Slingeneyer tous les deux
« florentins, » comme aussi MM. Guillaume
et Charles Blanc de l’Institut. Tant d’autres
encore et parmi eux MM. Wolterbeek et
Springer, d’Amsterdam, dont la présence
nous rappelle les bons souvenirs des excur-
sions du Jury international à Ouderkerke et
à Soest Dijck, où S. A. R. le Prince Henri
des Pays-Bas nous reçut avec tant de cour-
toisie.

Je vois Mme De Give-Delier échanger un

regard significatif avec le chef d’orchestre...
c’est l’instant psycologique. M. Benoit essaye
la batterie électrique : la luciole de la tour
a répondu : il lève le bâton de mesure...

V.

Liefsteder Zustren, die troontaan deSchelde,
Kunstkoninginne, wij allen fijn hier!

Neem on^en kus, on\e kronen en palmen ;
Laat on\e hulde de wereld door galmen :
Moeder van Rubens, op Ufijn n>ijfier!

« Sœur aimée entre toutes, qui trônes aux
» rives de l’Escaut, reine de l’art, nous voici :

» accepte notre baiser, nos couronnes et nos
» palmes; notre hommage emplira bientôt
» l’univers : mère de Rubens nous sommes
» fières de ta gloire ! »

Rubens : le nom magique a été prononcé :
à l’écho de ses syllabes ont surgi des torrents
d’harmonie qui ont rempli l’espace. Du haut
de la galerie de la tour de Notre-Dame, les
éclatantes fanfares des trompettes thébaines
ont lancé aux régions des nuages le thème
initial parti de la terre et exécuté par douze
cents chanteurs et instrumentistes.

Si les vers de M. Julius De Gyter ruis-
sèlent de patriotisme inspiré, si l’hymne des
villes sœurs appartient au lyrisme « Vonde-
lien », dès son début.la partition de M. Peter
Benoît s’affirme avec une puissance de viri-
lité superbe.

L’idée de faire concourir à la majesté de
l’hymne chanté en l’honneur du peintre de
la Descente de croix le gigantesque écrin,
qui l’abrite comme unechâsse titanique, ima-
giné par le génie ogival du vieil Appelmans;
de faire ronfler l’airain et d’amalgamer
la voix imposante du Carolus — bourdon
Leviathan— aux sonneries des cloches et aux
trilles argentines des clochettes du Beiaard
communal; est une donnée esthétique essen-
tiellement flamande.

L’innovation était hardie, périlleuse, déci-
sive : l’honneur de la tenter revenait sans
conteste au chantre du Schelde. Il l’a victo-
rieusement réalisée et fait accepter par un
auditoire immense où se confondaient en
applaudissements unanimes les sommités de
l’intelligence réunies de toutes les contrées
d’Europe et la VOX POPULI.

La Rubens cantate est la consécration défi-
nitive de l’École de musique flamande.

Les bourdons aux voix de bronze; le Roe-
landt gantois, le Carolus d’Anvers rentreront
désormais dans l’orchestration flamande.

Ces sons légendaires ont conservé pour
nous flamands tout le prestige des anciens
jours; jadis ils transportaient nos aïeux, ils
font encore vibrer nos âmes. Comme aux
kerels des valeureuses communes flamandes,
le glas de la 1/lui KloK nous ilnte encore aux
oreilles ce mot magique : LIBERTÉ.

Les arts sont frères jumeaux. En présence
du triomphe de Rubens acclamé par l’Europe,
qui contesterait l’individualité de l’Ecole de
peinture flamande ? Du Quesnoy et Quellyn
ne peuvent-ils nous revendiquer à juste titre
une sculpture nationale? Vredeman De Vries
et Corneille Floris une architecture en har-
monie avec nos mœurs et notre climat ? Pon-
tius, Bolswert et Vostermans enfin, une école
de gravure aussi colorée, aussi plantureuse
que les œuvres primesautières qu’elle tra-
duisait.

Cats, Joost van Vondel et Anna Bijns ne
personnifient-ils pas l’originalité de la poésie
flamande? Et l’on viendra ensuite contester

aux Pays-Bas, si originaux dans tous les
autres arts — fournissant même à l’Italie,
du siècle de Léon X, toute une pléiade de
musiciens célèbres—de posséder une musique
originale, pittoresquement sensuelle, colo-
riste et vivante comme le génie même de la
race thioiseï

M. Peter Benoît a fait comme ce philo-
sophe antique se mettant à marcher devant
son antagoniste qui niait le mouvement. Pour
démontrer la possibilité d’une musique fla-
mande il écrivit le Schelde ; pour affirmer sa
vitalité et sa puissance : la. Rubens cantate,qui
est bien pour sa thèse une victoire décisive.

Les vieux beffrois muets des «Villes sœurs»
verront installer avec enthousiasme Banklok
et Beiaard pour concourir à leur tour à
célébrer le triomphe du plus grand des colo-
ristes. Les fanfares des trompettes thébaines
qui partaient ce soir de la tour de Notre-
Dame feront bientôt le tour du continent et
le monde étonné acclamera dans l’apothéose
du plus grand peintre de la nature vivante,
le coloris puissant et la virilité consciente de
la musique flamande.

Mais silence : écoutons le tutti final :

Dan mocht de beiaard spelen
Van al uw torentransen;

Dan mocht de grijsheid kweelen.

Dan mocht de jonkheid dansen !

Dan spreiddet Gij voor de oogen

XJn> Vrijheid, Kunst en Zeden.

Op allen mocht Gij bogen
Om allen werdt Ge aanbeden !

« Le carillon put alors lancer ses trilles
» aériennes de vos tours fuselées, la vieil-
» lesse entamer les refrains d’autrefois et la
» jeunesse se livrer aux danses joyeuses. »

« Vous étaliez avec assurance aux yeux du
» monde vos mœurs, vos arts, vos libertés....
» Vous aviez le droit d’être fiers car le monde
» vous admirait. »

La cantate est finie. Le bourgmestre donne
l’accolade au Maestro qui la rend fraternelle-
ment à M. De Geyter. Le bourdon sonne à
toute volée, le carillon accompagne le refrain
final qui sera dorénavant le Lied populaire
anversois ; le peuple entier s’unit aux choris-
tes, la légion grossissante devient armée.

L’hymne populaire atteint l’autre rive de
l’Escaut et les batteries de la citadelle y ré-
pondent à coups de canon.

Tout à coup des musiques militaires dé-
bouchent sur la place Verte. Les piffaements
des chevaux, les mâles accords du clairon
renforcent encore un tutti sans précédent,
car M. Benoît acclamé a dû, tout ruisse-
lant, monter encore à l’estrade. Dans un
tel milieu tout devient spectacle, ce défilé
de cavaliers portant des ballons lumineux
attachés au haut des lances ; de soldats
éclairés aux lumières fuligineuses des torches
de résine , donne la fièvre aux assistants ,
l’impression finale est immense , l’enthou-
siasme gagne les étrangers : M. Meisson-
nier agite son chapeau avec frénésie, M. de
Jonge van Ellemeet escalade l’estrade pour
serrer la main au Maestro, toute l’assistance
s’ébranle à la fois à la suite de la retraite mili-
taire.

En ce moment, nous avions sous les yeux
une image vivante de l’aspect de nos libres
cités à l'époque des grands communiers fla-
mands, ou quand sonnait le tocsin d’alarme,
des Steenen armoriés des larges places, comme
 
Annotationen