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Revue égyptologique — 8.1898

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Revillout, Eugène: Les origines religieuses du droit et du patriotisme dans l'ancienne Égypte: leçon d'ouverture du cours de droit égyptien prononcée en décembre 1893 à l'École du Louvre
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https://doi.org/10.11588/diglit.11580#0048

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40

Eugène Revillout.

L'Égyptien était donc alors attaché à son lieu de naissance plus qu'il ne l'avait été
jamais. Une lettre de l'empereur Trajan adressée à son ami Pline nous apprend que l'empereur
lui-même s'était interdit d'accorder la cité romaine à un Egyptien s'il n'avait pas reçu d'abord
le droit de cité à Alexandrie, ce qui le détachait de son nome.

Eu apparence ce n'était là que marcher dans une voie tracée par les traditions égyp-
tiennes, puisque à toute époque, l'idée du nome, du lieu de uaissance, de la petite patrie d'ori-
gine s'était dressée pour les Egyptiens à côté de celle de la grande patrie, de l'Egypte en
ses deux royaumes.

Mais quand cette seconde idée manquait, quand l'Egypte n'était plus libre, quand le
sentiment national ne pouvait plus se faire sentir qu'en mordant au cœur, quand le lien qui
vous rattachait au lieu d'origine était un lien de nécessité imposée par le conquérant au lieu
d'être un lien d'affection, ce lien devait sembler bien dur.

Les idées religieuses elles-mêmes étaient bouleversées. Ces dieux de l'Egypte, qui avaient
bien permis quelquefois l'invasion étrangère comme punition du peuple, mais qui avaient
toujours fini par l'emporter, qui, sous les Grecs encore, avaient su se faire reconnaître, grâce
à certaines assimilations, par ces Grecs conquérants et conserver la domination théorique de
tout le pays, ces dieux désormais que pourraient-ils? Absolument rien. Ils étaient vaincus,
vaincus à jamais et sans force! Eux aussi, ils étaient des captifs dans leurs nomes, dans leurs
lieux de naissance. Un destin aveugle avait cruellement arrangé les choses. C'était la force,
la violence qui régnait sur le monde entier. Les dieux du vieux culte égyptien . . . c'était une
moquerie que d'y croire!

Telles sont les idées qu'expose amèrement un patriote du commencemeut de la domi-
nation romaine, clans un apologue dont je vous ai déjà souvent parlé : Conférences philoso-
phiques entre une chatte éthiopienne et un petit chacal koufi.

La chatte éthiopienne n'est pas une chatte proprement dite, même de la race des chats
sauvages. C'est un gros félin, tel que le lion, le tigre ou la panthère.

De son côté, le petit chacal koufi, le petit chacal singe, n'est pas un chacal proprement
dit. C'est probablement un de ces petits siuges à nez pointu, à mine de chacal, qui ne sont
pas rares en Egypte et dont Mariette nous a montré des échantillons.

Cette conférence philosophique ressemble donc par la mise en scène à celle de la fable
de Floriax intitulée le léopard et l'écureuil.

La chatte éthiopienne est d'un pays qui jouit encore de l'indépendance et où l'on honore
en liberté les dieux de l'Égypte. Elle reste imbue de toutes les vieilles traditions religieuses,
pleine de foi dans la toute-puissance du grand dieu Ea et d'attachement pour les pieux préceptes.

Le petit chacal koufi représente au contraire un Égyptien désabusé. Il ne croit plus à
rien qu'à la fatalité, à la lutte pour l'existence. C'est un révolté dame bien qu'un soumis
en fait. Il a pour les Romains les mêmes sentiments que Macchiavel pour les Médicis. Mais
il a non moins de prudenee dans le pamphlet qu'il écrit sous eux.

Il n'aime pas à nommer les choses par leur nom quand ces choses sont compromettantes.
Il faut le comprendre entre lignes quand il a en vue l'idée de patrie, d'indépendance, de
liberté, de ce qui fait la joie et la grandeur d'un peuple s'il la possède, de ce qui le torture
par le souvenir et par le contraste si elle est à jamais perdue.
 
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