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Michel-Ange
l’homme est grand, plus il pèse lourdement sur notre esprit, plus il s’impose à notre imagi-
nation et plus il importe de discerner, d’une vision plus nette, le côté véritablement génial
de son art. Et ici cette recherche est d’autant plus nécessaire que pendant longtemps ce
sont les défauts mêmes de Michel-Ange que l’on a pris pour des qualités et que l’on a imités.
Charles Garnier en étudiant les œuvres d’architecture de Michel-Ange a bien net-
tement marqué la nature de son génie: « Michel-Ange, dit-il, a failli lui aussi; en vain il
Ange de la Châsse de S. Dominique
a fait appel à ses facultés créatrices; il a le plus sou-
vent, en cherchant le grand, trouvé le boursouflé,
en cherchant l’original rencontré l’étrange et sur-
tout le mauvais goût. » (’)
Mais, comme effrayé de ce qu’il vient de dire,
Charles Garnier ajoute qu’il ne juge ainsi Michel-
Ange que dans ses œuvres d’architecture et il s’ef-
force de montrer pour quelles raisons Michel-Ange
n’a pas encouru de tels reproches en peinture et en
sculpture.
La vérité c’est que Michel-Ange fut comme
peintre et comme sculpteur ce qu’il fut comme ar-
chitecte. Boursouflé! étrange! si de tels mots peu-
vent venir sous la plume d’un architecte étudiant
Michel-Ange comme architecte, combien ne sem-
bleront-ils pas plus justes encore si nous étudions
les Tombeaux des Médicis et surtout ce Jugement der-
nier qui est bien vraiment l’œuvre la plus étrange et la plus boursouflée qui ait jamais
été créée.
Et cependant, malgré tous ses défauts, il reste un des plus grands, sinon le plus
grand des artistes modernes.
Tout d’abord il est incomparable au point de vue de la connaissance de son art.
Personne n’a dessiné mieux que lui; personne n’a mieux connu le corps humain. Sans
doute il abusera de cette science : dans les Tombes des Médicis et surtout dans le Jugement
dernier il représentera des attitudes outrées, antinaturelles, mais il sera toujours d’une
science impeccable et il sera impossible de ne pas l’admirer, même dans ses plus vio-
lents écarts.
En outre il est un merveilleux ouvrier; nu! n’a taillé la pierre avec plus de brio;
nul n’a eu une telle passion pour la partie matérielle et technique de son art ; et à ce titre
il fera toujours le ravissement des hommes du métier.
Mais s’il n’avait eu que cela, ce serait encore bien peu. Bandinelli et Cellini ont
admirablement dessiné et ont été, comme lui, de vaillants praticiens. Le vrai titre de
(l) Michel-Ange {Gazette de Beaux-Arts, 1876).
Michel-Ange
l’homme est grand, plus il pèse lourdement sur notre esprit, plus il s’impose à notre imagi-
nation et plus il importe de discerner, d’une vision plus nette, le côté véritablement génial
de son art. Et ici cette recherche est d’autant plus nécessaire que pendant longtemps ce
sont les défauts mêmes de Michel-Ange que l’on a pris pour des qualités et que l’on a imités.
Charles Garnier en étudiant les œuvres d’architecture de Michel-Ange a bien net-
tement marqué la nature de son génie: « Michel-Ange, dit-il, a failli lui aussi; en vain il
Ange de la Châsse de S. Dominique
a fait appel à ses facultés créatrices; il a le plus sou-
vent, en cherchant le grand, trouvé le boursouflé,
en cherchant l’original rencontré l’étrange et sur-
tout le mauvais goût. » (’)
Mais, comme effrayé de ce qu’il vient de dire,
Charles Garnier ajoute qu’il ne juge ainsi Michel-
Ange que dans ses œuvres d’architecture et il s’ef-
force de montrer pour quelles raisons Michel-Ange
n’a pas encouru de tels reproches en peinture et en
sculpture.
La vérité c’est que Michel-Ange fut comme
peintre et comme sculpteur ce qu’il fut comme ar-
chitecte. Boursouflé! étrange! si de tels mots peu-
vent venir sous la plume d’un architecte étudiant
Michel-Ange comme architecte, combien ne sem-
bleront-ils pas plus justes encore si nous étudions
les Tombeaux des Médicis et surtout ce Jugement der-
nier qui est bien vraiment l’œuvre la plus étrange et la plus boursouflée qui ait jamais
été créée.
Et cependant, malgré tous ses défauts, il reste un des plus grands, sinon le plus
grand des artistes modernes.
Tout d’abord il est incomparable au point de vue de la connaissance de son art.
Personne n’a dessiné mieux que lui; personne n’a mieux connu le corps humain. Sans
doute il abusera de cette science : dans les Tombes des Médicis et surtout dans le Jugement
dernier il représentera des attitudes outrées, antinaturelles, mais il sera toujours d’une
science impeccable et il sera impossible de ne pas l’admirer, même dans ses plus vio-
lents écarts.
En outre il est un merveilleux ouvrier; nu! n’a taillé la pierre avec plus de brio;
nul n’a eu une telle passion pour la partie matérielle et technique de son art ; et à ce titre
il fera toujours le ravissement des hommes du métier.
Mais s’il n’avait eu que cela, ce serait encore bien peu. Bandinelli et Cellini ont
admirablement dessiné et ont été, comme lui, de vaillants praticiens. Le vrai titre de
(l) Michel-Ange {Gazette de Beaux-Arts, 1876).